Tableau d’époque
André-Marcel ADAMEK, Roman fauve, tome 1, les rouges portes de Lorraine, Luc Pire, 2009
Le roman historique est un genre littéraire à part entière qui a lui aussi ses artistes. Adamek ouvre ici une fresque qui connaîtra d’autres développements et dont le récit suit le destin de Thomas, un jeune artiste en formation à l’époque de la guerre de trente ans, dans le nord de la France. Comme le veulent les pratiques d’alors, il est entré au service d’un maître, Pierre Palurne, qui lui enseigne son art, avant de pouvoir prétendre accéder à la profession. Au terme d’un voyage tout à la fois long (il revient de Florence) et périlleux (il circule seul et a dû affronter des brigands à quelques lieues encore de chez lui), le vieux maître retrouve sa demeure et son apprenti qu’il a laissé à ses toiles. Mais il est fort diminué : sa vue a baissé, l’entravant définitivement dans l’exercice de son art. Le récit narre les obstacles que le jeune homme devra franchir pour espérer atteindre la maîtrise.
L’insécurité ambiante et la guerre qui sévit sans que l’on en comprenne trop les enjeux, les règlements de compte, l’amour qui fleurit, la mort du vieux maître. C’est sans compter sur la complicité bienveillante des proches et d’un autre artiste en vue, Georges de la Tour, qui lui offre protection et soutien matériel. Livré à lui-même, Thomas développe une technique de peinture nouvelle teintée de fauvisme et toute la question est de savoir si elle convaincra ses juges à la foi figée et pétris de conventions, de classicisme. Son sort se jouera à Tournai, là où il a laissé sa famille pour rejoindre son maître à Luneville. Dans cette histoire, tout est prétexte à mieux connaître les mœurs des gens d’alors, leurs croyances, leurs habitudes alimentaires, le pouvoir de l’Eglise, la violence omniprésente, le peu d’état de droit, de justice. Et surtout à mieux comprendre les contraintes dans lesquelles travaillaient les plasticiens d’alors: recherche indispensable et délicate des modèles, absence de lumière artificielle, aléas du mécénat, énergie nécessaire à la fabrication des couleurs et enduits. Visiblement, André-Marcel Adamek s’est fait plaisir en écrivant ce texte qui, sans jamais donner dans l’archaïsme ampoulé, fleure bon le français de XVIIe siècle avec quelques accents rabelaisiens du meilleur effet. L’auteur sait aussi donner la place qui revient à chacun dans cette fable aimable qui n’oublie pas le personnel de maison, les petits artisans et même les brigands de grand chemin. Tout ce petit monde forme une galerie de portraits aux couleurs chaudes que l’on a peine à quitter. C’est dire si l’exercice est réussi et que l’on se réjouit de les retrouver pour d’autres aventures.
Thierry Detienne
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°158 (2009)