Faut-il continuer à adapter l’œuvre d’Amélie Nothomb?

Amélie Nothomb

Amélie Nothomb

De but en blanc, une question se pose, qu’on pose donc à l’écrivaine : pourquoi autant d’adaptations de ses livres, d’Hygiène de l’assassin en particulier? Elle n’a pas vraiment de réponse : « Je ne sais pas pourquoi on a envie d’adapter mes romans. Je ne peux que le constater. Il y a même un ballet qui va être tiré du Sabotage amoureux« . Pour notre part, nous supposons que c’est parce que cette œuvre ose la grandiloquence, aborde des sujets monstrueux, avance la tête haute, n’a peur de rien – à tort ou à raison. Plus prosaïquement : qu’elle est essentiellement dialoguée.

Et que ces dialogues fascinent, bien sûr. Au point que François Ruggieri, dont la version cinématographique d’Hygiène de l’assassin est le premier long métrage (mais pas le premier spot publicitaire), en puise certains dans le roman, en invente d’autres, « à la manière de« . En invente comme il réécrit toute la trame de l’histoire, la transformant en récit d’enquête, ce que le livre n’était pas. Le roman ainsi diminué, banalisé, on comprend pourquoi Amélie Nothomb aime à répéter que le scénario est complètement raté. « Il n’y avait aucun moyen de l’améliorer. J’ai donc décidé de me retirer complètement de ce film. De plus, la situation juridique était telle que nous ne pouvions pas reculer. De toute façon, je ne comprends pas que l’on veuille adapter ce livre au cinéma, il est trop statique. » C’est peut-être pour contrer cela que la caméra bouge sans arrêt, qu’il y a autant d’effets que dans un clip vidéo. Et si la musique est électronique, c’est peut-être parce que le réalisateur a pensé son film comme un remix de l’œuvre originale. D’ailleurs certains phrases sont répétées comme des gimmicks. Le film Hygiène de l’assassin serait-il à passer dans les clubs, le samedi soir? Aux toilettes, alors.

ruggieri hygiene de l'assassin

Et l’adaptation du Sabotage amoureux ne devrait pas être jouée bien loin, tellement elle est à… Pourtant elle est notamment due à Pascal Lissilour qui avait bien réussi celle d’Hygiène, la version interprétée par Jean-Claude Dreyfus, le meilleur Prétextat à ce jour, pour Amélie Nothomb. Qui trouve cette pièce non pas parfaite, mais réussie. Que dire pourtant de cette idée si fine de mise en scène : comme l’histoire se passe en Chine, les flash-back ont lieu en ombres chinoises. Et de Valérie Mairesse (tenant le rôle d’Amélie), actrice et comique de seconde zone qui s’évertue à rendre naturelle la lecture de son journal intime retrouvé. Amélie Nothomb nous a confié qu’elle a été surprise de se (re)voir sur scène, petite fille, en train de faire pipi. Nous, c’est de voir la comédienne Vanessa Jarry, jouant une gamine italienne, en rajouter dix tonnes pour faire encore plus gamine, encore plus italienne. Quand elle ne fait pas l’enfant chinoise.

Puisqu’Amélie Nothomb ne veut pas écrire directement pour le cinéma ni adapter elle-même ses romans pour la scène – c’est un autre métier, affirme-t-elle, à juste titre – doit-elle ainsi confier ses progénitures à n’importe qui? « Je suis monomaniaque, dit-elle, obsédée par les livres que j’écris. Je suis la mère de mes manuscrits. Mais je pense qu’une mauvaise mère est celle qui poursuit trop ses enfants, celle qui ne leur laisse pas vivre leur vie. Je préfère donc m’occuper de ceux que j’ai dans le ventre. » Et de nous promettre un nouveau rejeton pour la rentrée.

Pour terminer aussi abruptement que l’on a commencé, on peut déplacer la question de départ et se demander ce que gagnent les romans de l’écrivaine à être ainsi adaptés (n’importe comment). Amélie Nothomb pense simplement qu’aucune atteinte ne leur est portée. Nous, on se dit qu’ils y perdent. Que l’on ne voit plus que les clichés de l’œuvre, ses dialogues parfois brillants, parfois lourds jusqu’au ridicule. Qu’elle perd tout ce qui se passe dans ses soubassements, l’indicible grouillant, mélancolique, obsessionnel. Tout ce qui en fait la vraie force, pour tout dire.

Michel Zumkir

Hygiène de l’assassin, un film de François Ruggieri, avec Jean Yanne. – Le sabotage amoureux, adapté par Pascal Lissilour et Annabelle Millot, mis en scène par Annabelle Millot, au théâtre Ranelagh (Paris)


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°107 (1999)