Christian Dotremont, Logogrammes

Dotremont, logogrammes et logoneiges

Christian DOTREMONT, Logogrammes, Textes d’A. Seban, A. Pacquement, Ch. Briend,
Y. Peyré, Paris, Éd. Centre Pompidou, « Cabinet d’art graphique », 110 p., 80 illustrations, 24,50 €

En janvier dernier se clôturait à la Galerie d’art graphique du Centre Pompidou, à Paris, une remarquable exposition consacrée aux « dessins de mots, peintures de langage » de Christian Dotremont (1922-1979) – la première de cette envergure au sein d’une institution muséale française. Près de quatre-vingts logogrammes étaient présentés, qui démarrent à leur préhistoire, en 1961 avec Laponie, un portfolio de dessins où
des fétus d’encre noire sur la feuille de papier sont juxtaposés à de brefs poèmes (« et quand tu devines / ta hutte qui est / de l’autre côté du / siècle »).

Et c’est encore en Laponie qu’aboutissait le parcours des œuvres, avec le luxuriant « Vers sept heures du matin, pour ainsi dire… » de 1978 : le logogramme, plus resserré et intense que jamais, sur un papier de très grand format, évoque un long nuage de signes noirs, de crevasses et de cimes filant vers la droite, avec en regard sur le papier la transcription au crayon, par Dotremont, des menus faits, gestes et murmures sur la neige, lors d’un matin chez les Lapons. De nombreux logogrammes étaient issus de collections privées et publiques (notamment de la Communauté française/Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Fondation Roi Baudouin), mais également et surtout d’une magnifique donation effectuée en 2011 par Pierre et Micky Alechinsky au Centre Pompidou, qui, ajoutée aux acquisitions antérieures du musée, fait aujourd’hui de ce dernier l’un des plus généreusement doté en matière de logogrammes.

Accompagnant cette exposition, un ouvrage, dirigé par Christian Briend, publié dans la collection «Cabinet d’art graphique» du Centre, réunit un ensemble de textes et toutes les œuvres en lice, dont les moins connus « logoneiges » et « logoglaces ». Ils furent tracés en pleine neige en 1976 au cours d’un voyage dans le Nord, et photographiés par Caroline Ghyselen, qui préservait ainsi le signe éphémère et le geste accompli, tirant l’œuvre vers une forme modeste de Land Art nordique. Christian Briend, relatant la genèse des logogrammes, rappelle à raison que chez Dotremont c’est toutefois le sens qui prédomine avant la recherche esthétique, même si celle-ci n’est pas absente du résultat final. Même volonté également chez « l’écrivain à Gloria » – alias « Logogus » comme il se dénomma à plusieurs reprises – d’éviter toute confusion entre son travail et la calligraphie : « Calligraphier, c’est en général, copier un texte, avec une intention d’embellissement » précise-t-il dans sa correspondance avec Michel Butor (Galilée, 1986), ajoutant que son objectif poétique, c’est « l’intime interaction spontanée de l’imagination verbale et d’un bouleversement graphique de l’alphabet ».

Dans cette invention capitale qu’est le logogramme, « la Laponie fut sa Chine », souligne Yves Peyré, où l’écriture, loin de tendre à une forme d’illisibilité plastique, comme chez Michaux, est un accroissement du langage, « en lui restituant la part de plasticité dont la civilisation occidentale l’avait amputé ». Une écriture qui amplifie le sens des mots, livre la spontanéité du geste vivant, et se pare d’atours poétiques infimes ou bouleversants : « ma main est un cheval qui trotte puis galope / et bois les obstacles, et tout ça en regardant toujours / l’éternité de l’herbe » (1971). Ainsi vécut, et vit encore, Logogus.

Alain Delaunois


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°172 (2012)