Véronique Janzyk : On est encore aujourd’hui

La traversée des habitudes

Véronique JANZYK, On est encore aujourd’hui, Onlit, 2014, 120 p.

L’histoire débute comme un film de la Nouvelle Vague. Une jeune femme invite un expert du récit de vie à donner une conférence dans le centre de santé où elle travaille. Le public est nombreux et l’universitaire un peu intimidé. Elle l’encourage de ses sourires et l’intervention est un succès. La narratrice raccompagne son invité à la gare où ils prennent un café. Le lendemain il l’appelle et lui propose son amitié ; elle accepte… Leurs rencontres se multiplient, la plupart autour de leur amour du cinéma, avec le constat qu’ils font chacun d’un manque dans leur vie. Les mois passent, les films se succèdent, leurs discussions aussi. Qu’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas ici d’une aventure amoureuse mais bien d’un homme et d’une femme un peu seuls qui font l’amitié… Intensément, peut-être pour la première fois. À mi-récit, pendant un séjour en Bretagne avec sa femme, l’ami sociologue meurt brusquement et ce décès déclenche un lent travail de deuil pour la jeune femme qui revient, avec arrêt sur image, sur cette amitié cinéphilique et sur le vide qu’elle laisse. On est encore aujourd’hui pose une question cruciale : comment vivre la rupture avec un passé proche dont les habitudes ont insidieusement miné notre présent ? En en revisitant chaque moment avec tendresse, semble répondre l’auteur.
Janzyk est ici au sommet de son art. Elle narre avec minutie mais ne propose pas de pistes à son lecteur. Dans l’acuité de son regard point la lucidité du détail. Au cinéma comme dans le rêve ou la réalité, elle note l’anecdote derrière l’angoisse ou le sourire : un vêtement porté à l’envers, une plaque d’immatriculation qui forme le mot vie. Janzyk célèbre les allers-retours parmi nos petits bonheurs quotidiens. Elle sait faire vite et précis en peaufinant de courts chapitres parfois à la lisière du poème en prose. Et c’est un style qui convient à merveille au format de l’e-book. A vos tablettes, à vos liseuses…

Quentin Louis


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 184 (2014)