Jean-Claude PIROTTE, Il est minuit depuis toujours ; Un été dans la combe

Nuit multiple

Jean-Claude PIROTTE, Il est minuit depuis toujours, La Table ronde, 1993
Jean-Claude PIROTTE, Un été dans la combe, La Table ronde, 1993

Rares sont les livres qui semblent, à la fois, aussi familiers et imprévi­sibles que le dernier Jean-Claude Pirotte. Familière, certes, cette voix lorsqu’elle parle, murmure, se fait lyrique, nonchalante ou se resserre nerveusement. Elle pourrait aussi bien être la vôtre ou la mienne, celle de nos rêveries nocturnes, celle qui sourd dès que l’on est seul et que le comble fait place au vide. Quoi de plus « naturel » que ces monologues, confessions vraies ou fausses, bribes et fragments, ré­flexions et récits, mots qui s’attirent ou se repoussent, poèmes et calembours, sourires, angoisses, hésitations, silences et redites. C’est que depuis toujours, à minuit, tout et rien peuvent se dire. Certains l’écrivent même (ils tiennent des carnets…). Pour d’autres — et ce sont de véritables écrivains —, « il est minuit depuis toujours », la va­cuité de la nuit étant leur façon d’être, l’écriture, leur façon de faire pièce au temps qui s’écoule.

Mais si elle nous semble, d’évi­dence, familière, la voix de Pirotte est tout aussi simplement unique. La lie de l’exis­tence, ce résidu qui résiste à la dernière pression du monde, pour être commune à tous dans son essence, procède cependant d’une alchimie singulière. Il en résultera, ici, un registre très personnel où « le pré­caire, le risible, l’inachevé, la corrosion » do­minent : mort, musique, nuit et insomnie, vide, douleur, femme, Verlaine, Char-donne, soif et mots, vies multiples, hu­mour, impuissance (et ce n’est pas exhaus­tif…) D’où la sensation déconcertante — angoissante et délicieuse tout à la fois — de se laisser prendre à chaque page dans les rets d’une écriture qui sait merveilleusement marier le dru et le fragile pour nous ôter toute envie de conclure. Insaisissable donc, jusque dans la structure du livre qui re­groupe des écrits épars et anciens (inédits pour la plupart) et dont le seul fil conduc­teur est cette voix qui revient inlassable­ment sur elle-même pour déclarer, avec une candeur feinte : «Je simplifie tout. C’est par paresse, par aveuglement, par vice. Mais je complique tout. Je ne saute jamais la bonne distance. Tantôt trop bas, tantôt trop loin. De mes incuries je prétends faire flèche. Et les justifier d’un mot : littérature. »

Dominique CRAHAY

Le Carnet et les Instants n° 81, 15 janvier – 15 mars 1994