Portes et livres ouverts : les Coups de midi des Riches Claires

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Nicolas Marchal interviewé par Jacques De Decker, le 8 avril 2011 (c)DR

De nombreux lieux présentent, font vivre et découvrir l’œuvre d’auteurs belges francophones. Des lieux essentiels puisqu’ils permettent de mettre un visage sur un nom et d’entendre l’écrivain s’exprimer en direct sur son travail. Partons à la découverte de ces lieux. Dans ce numéro : les Coups de midi de la Bibliothèque des Riches Claires à Bruxelles.

Nous sommes au cœur de la capitale, à un jet de pierres de la Grand-Place. Créée en 1971, à partir des collections de plusieurs bibliothèques de quartier, la Bibliothèque des Riches Claires se niche depuis 1981 au cœur d’un de ces îlots typiques de la ville. Le bâtiment est moderne et, une fois dans le hall d’entrée, nous sommes orientés vers la salle de spectacle au sous-sol…

Atmosphère…

Sur la scène, une simple table, une nappe verte, deux micros. Les lumières sont tamisées, nous oublions presque que nous sommes en plein temps de midi. Quelques spectateurs, souvent un public de fidèles, sont déjà installés sur les fauteuils en gradins. Une rencontre à l’heure de table convient particulièrement aux travailleurs, Bruxellois ou navetteurs. « Les Midis, c’est une invention belge, explique Jacques De Decker, animateur et cofondateur de ces rencontres, avec les Midis de la poésie créés par Roger Bodart et Sara Huysmans, laquelle a importé le concept de Londres où elle l’avait découvert pendant la guerre »[1]. En ce vendredi de janvier, l’invité vient du monde scientifique, une fois n’est pas coutume. Il s’agit du cardiologue Jean Creplet pour son essai Penser les soins de santé, un défi en trois couleurs, aux Éditions de l’Académie Royale de Belgique, en collaboration avec János Frühling. Ouvrage signé par deux médecins qui militent pour la défense de l’assurance-maladie solidaire.

Chers amis des Riches Claires

Comme un rituel, Jacques De Decker accueille le public par la formule éprouvée : « Chers amis des Riches Claires… » Véritable ambassadeur des Lettres belges dont il est un des connaisseurs les plus pointus, Jacques De Decker a écrit plusieurs ouvrages à partir de son travail de critique littéraire au journal Le Soir notamment, mais également comme Secrétaire perpétuel à l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Il  a ainsi publié Les Années critiques : les Septentrionaux, en 1990, En lisant, en écoutant… en 1996 et La Brosse à relire en 1999, qui vient d’être réédité dans la collection Espace Nord (n° 331). Il exerce aussi ses talents dans les genres littéraires les plus divers (théâtre, roman, nouvelle, essai, biographie, traduction et adaptation) et il n’était que légitime qu’il fût à son tour l’invité des Coups de midi, notamment pour la centième et ses 35 ans de critique littéraire. L’arroseur arrosé en quelque sorte. C’est l’écrivain Jean Jauniaux, alias Edmond Morel comme animateur d’une webradio, elle-même formidable audiothèque d’auteurs, qui lui donna la réplique ce jour-là.

La discussion, cette fois avec Jean Creplet, permet à chaque fois d’en apprendre sur l’homme et sur l’œuvre, sans oublier les enjeux sociétaux que la démarche éditoriale poursuit. Journaliste, tant en presse écrite qu’en radio mais aussi en télévision avec l’émission Écritures dans les années ’80, Jacques De Decker a affiné l’art de la conversation et de l’échange, de telle sorte que ces dialogues nous entraînent souvent bien loin dans la réflexion. « L’émission Écritures a été une très bonne école pour affiner la technique de l’interview. Je m’imprègne du livre, sans schéma préconçu. La spontanéité est importante, explique-t-il. Je me mets à l’écoute de l’auteur qui, sauf exception, met sur la voie de l’échange. Je suis la direction prise par l’auteur, quitte à rattraper certains éléments par après. Cela permet d’avoir l’interview la plus fluide possible et d’avoir les plus belles surprises. Je pratique l’interview comme je pratique le tennis ! Il faut réagir selon les coups. Avec certains écrivains, cela demande un peu d’entraînement car ils sont prêts à occuper le terrain, pour garder la métaphore sportive. Je dois aussi être attentif à la recherche d’un rythme, à la gestion du timing qui doit être précise, car on ne peut pas dépasser l’heure de rencontre, ce qui explique qu’il n’y a pas d’échange avec le public. »

Qualité, qualité, qualité

Ariane Le Fort, Diane Meur, Caroline Lamarche, Françoise Lalande, Corinne Hoex, Amélie Nothomb, Geneviève Damas, William Cliff, Pierre Mertens, Michel Lambert, Yvon et Jean-Philippe Toussaint, André Stas, Jean-Baptiste Baronian, Marcel Moreau, Grégoire Polet, Patrick Roegiers, Thomas Gunzig, Michel Joiret ou les regrettés René Henoumont, Guy Vaes, Jacqueline Harpman, Hubert Nyssen, sans oublier Laurent de Graeve, Liliane Wouters et Alain Bertrand trop tôt disparus… Depuis mars 1998, date de lancement des Coups de Midi, la liste des invités est impressionnante par sa diversité et sa préscience de talents encore à leurs débuts parfois. Cent cinquante auteurs environ en près de vingt ans et ce n’est pas fini !  Des poètes et des romanciers principalement, mais également des hommes de théâtre comme Pascal Vrebos ou Thierry Debroux, des économistes comme Bruno Colmant et Paul Jorion, des linguistes comme André Goosse, des politiques comme Mark Eyskens et Hervé Hasquin, des historiens, des essayistes, des bédéistes, etc. Parmi tous ces invités, épinglons de nombreux lauréats du Prix Rossel. Au vu du panel impressionnant, sans oublier la diversité des maisons d’édition concernées, se pose la question des critères de choix de ces derniers. La réponse de Jacques De Decker fuse sans hésitation : « Qualité, qualité, qualité ! Le vrai pari est de ne pas manquer des rendez-vous avec des ouvrages qui s’imposent. L’autre ambition des Coups de midi est de repérer les nouveaux talents. Je suis heureux que notre deuxième invité, en 1998, ait été Xavier Hanotte pour De secrètes injustices et de constater l’œuvre qui a suivi. En 1999, on annonce que La passion Savinsen de François Emmanuel reçu en février est un futur prix Rossel. Cela s’est vérifié ensuite. Vincent Engel est venu pour ses nouvelles de La guerre est quotidienne, lui aussi quasiment à ses débuts. Nous avons également accueilli Françoise Mallet-Joris pour une de ses dernières prestations publiques. C’est aussi symbolique pour nous d’avoir démarré ces rencontres avec l’essai L’histoire de Bruxelles : biographie d’une capitale, de Georges-Henri Dumont, en mars 1998. Nous avons aussi reçu un auteur flamand de grande qualité, Joseph Pearce. Nous n’avons jamais invité un écrivain par obligation, mais par conviction, au coup de cœur. » « Xavier Hanotte, François Emmanuel et Vincent Engel ont été aussi lauréats du Prix des Bibliothèques de la Ville de Bruxelles que nous avons créé en 1995 », complète Marie-Angèle Dehaye, bibliothécaire-en-chef des Riches Claires et initiatrice avec Jacques De Decker des Coups de midi. Décerné chaque année à un roman publié par un écrivain domicilié en Belgique et mis sur pied de concert avec la Bibliothèque de Laeken et l’asbl « Les Amis des Bibliothèques de la Ville de Bruxelles », ce prix est allé en 2015 à In Koli Jean Bofane pour Congo Inc. le testament de Bismarck (éd. Actes Sud). Il est décerné par un jury composé pour moitié par des bibliothécaires, chose assez rare pour être soulignée.

Formidable docuthèque sur Youtube

Si la Bibliothèque des Riches Claires regroupe les services d’une bibliothèque locale, principale et centrale, et accueille de ce fait, depuis février 2002, la Bibliothèque centrale pour la Région de Bruxelles-Capitale en assurant à ce titre la coordination de la lecture publique en Région bruxelloise, elle offre aussi par le biais de ses Coups de midi un formidable outil patrimonial sur la littérature belge contemporaine. En effet, des captations audio en ont été réalisées depuis les débuts et audiovisuelles depuis quelques années. Vidéos qui peuvent être visionnées sur You Tube : « Ce sont souvent des témoignages émouvants. Le plus jeune de nos invités, Laurent de Graeve, est aussi le plus jeune disparu. Le seul enregistrement audiovisuel de cet écrivain a été capté ici. L’impact en est aussi étonnant : une traductrice à Taïwan suit toutes nos rencontres sur internet et a été impressionnée par l’entretien avec Diane Meur », constate Jacques De Decker. Ces captations sont l’occasion de découvrir des entretiens devenus avec le temps de véritables documents. Mais le rôle des Riches Claires en faveur des écrivains de chez nous a d’autres aspects : « La promotion de la littérature belge est complétée par d’autres dispositifs comme des expositions, des spectacles, des lectures et des colloques, par exemple celui que nous espérons monter en septembre sur Émile Verhaeren, magnifique poète dont c’est le centenaire de la mort cette année », annonce Marie-Angèle Dehaye.

Michel Torrekens

En pratique

Les Coups de midi se déroulent un vendredi par mois, de 12h30 à 13h30.
Bibliothèque des Riches-Claires : Rue des Riches-Claires, 24 à 1000 Bruxelles.
Rens. : 02/548 26 21
Site web : http://www.bibliorichesclaires.be
E-mail : bp1@brunette.brucity.be
Liste des auteurs reçus sur http://www.brunette.brucity.be/bib/bibp1/archives.htm


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 190 (avril 2016)