Marcel Lecomte, Le regard des choses

Miroirs et myrrhe noire

Marcel LECOMTELe regard des choses, Choix de chroniques artistiques et de préfaces, établi et annoté par Philippe Dewolf, Labor, 1993, 232 p.

Marcel Lecomte, auteur avec Nougé et Colinet, de l’éphé­mère revueCorrespondances a écrit divers textes et préfaces sur les événe­ments artistiques de la culture contempo­raine. C’est ce choix de chroniques que Philippe Dewolf a décidé de réunir et d’an­noter dans un très beau livre, publié chez Labor : Le regard des choses. Que ce soient Vélasquez, Brueghel, ou Cé­zanne et Magritte, Lecomte s’est mis à l’écou­te du tableau, non à la manière du critique d’art pour qui l’œil surplombe, les facultés, mais à la façon du cambrioleur plaquant son oreille à la serrure, tentant de découvrir le jeu multiple des combinaisons dans l’accès pas­sionné à nos trésors des plus secrets. L’histoire de l’art pêche par arrivisme. Aussi, Lecomte demande-t-il un retour aux principes, la découverte d’une arrière-his­toire où les enjeux de l’inconscient détermi­nent — mais également libèrent — les tra­cés de l’événement dans le cours de notre société. Aussi, la démarche est-elle toujours actuelle ou plutôt intempestive à l’instar de ces considérations poétiques qui ne cessent de se rappeler à notre acuité. Marcel Lecomte sait qu’un tableau, ainsi que l’a dit André Breton, n’a de valeur que comme fenêtre-miroir où tout l’intérêt est de voir sur quoi tout ces beaux reflets ouvrent. A la vue panoramique, s’oppose la prise de conscience directe de l’espace situé entre les choses, entre les éléments. Espace où tout prend de la vitesse, où peuvent surgir les flux de la surprise et du merveilleux alors comme « serti d’un complexe de neige et de sel ». Cet intermezzo de la ligne rend à notre propre espace intérieur toute sa richesse. Et Lecomte analyse ici l’importance de l’animal, du végétal et du minéral dans nos créa­tions inconscientes. Il retrouve par là les de­venirs du Cosmos et le sens profond de pro­ductions comme celles de Tanguy, de Miro et de Wols mais aussi des textes de Lautréa­mont, Novalis ou Magritte. Cette entreprise « microptique » fait ressortir la texture, le corpus de ce qui constitue la ma­térialité de l’œuvre, par-delà les apparences des officines des marchands de tableaux. Lecomte sait, en de très belles pages, appré­hender le « grain », que celui-ci soit promesse d’avenir ou annonciateur d’orages sur les belles frondaisons de nos cités endormies. Grain de sable, grain de folie. Mais ce grain est aussi le point blanc où se résorbent les contraires, où peut apparaître, comme aime à le répéter Lecomte, la « spectralité », aura mystérieuse des confluents de l’ Œuvre, ir­réelle mais non moins tangible fascination pour le devenir de l’œuvre où, à sa cape d’obs­curité, pend l’escarboucle de l’illumination.

Lecomte est ici très proche des démarches ésotériques. Cherchant à transmuter les formes et à métamorphoser les contenus d’expression, l’artiste se sent lié au souffle de toute vie. Tout à l’instar de Wols, peintre allemand de ce siècle que Lecomte commente magistralement, « l’insecte, l’homme, la racine sont singulièrement re­liés, impliqués à jamais dans un espace en­tièrement nouveau qui est celui des formes en devenir ».

Stupéfiante modernité du surréaliste qui aura su faire vibrer dans ce recueil de textes toutes les lueurs de nos enchantements actuels.

Pierre Vermeire


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 76 (1993)