Jacques SOJCHER, Trente-huit variations sur le mot juif

La dimension d’absence

Jacques SOJCHER, Trente-huit variations sur le mot juif, dessins de Richard Kenigsman, Fata Morgana, 2014 ; C’est le sujet, dessins de Lionel Vinche, Fata Morgana, 2014

Le mot juif / pèse sur toi / de tout le poids / de son histoire. / Il demande / une sépulture.

Jacques Sojcher dessine une réponse à travers Trente-huit variations sur le mot juif. Avec une poignante simplicité dans le constat d’une âpre évidence : la dimension d’absence, de solitude, de vide, gravée au tréfonds de l’être :

Tu inventes le père / que tu n’as pas connu. / Tu abandonnes la mère / qui t’a trop aimé. / Tu te sépares de toi / pour te punir d’être là. // Il est parti en fumée / un jour d’hiver / de grand froid. / Son absence grandit / avec les années. 

Est-il possible de devenir un homme sans passé ? De rompre les plus intimes amarres ? De s’affranchir d’une perte qu’on sait sans recours ?

Le vide de toi / appelle la mort / à venir / où je ne te retrouverai / pas. 

Pourtant, cet « inexistant majeur », disparu à jamais, imprime sa trace dans ce livre d’amour et de cendre.

Toujours chez Fata Morgana, sur la pointe des mots, Jacques Sojcher déroule, dans C’est le sujet, une histoire faussement légère. En forme de puzzle, aux couleurs, aux humeurs contrastées.

Tantôt limpide, presque tendre :

Il est bientôt dix heures. /Le petit déjeuner est copieux. / Le cake à la banane / est une découverte. / On pourrait être heureux. 

Tantôt fermée, serrée sur ce qui ne peut être dit :

Il oublie / avec l’exactitude d’un géomètre du vide. Aphasie du cœur. / Bégaiement de mots / inutiles. 

Un puzzle qui tient, malgré les pièces manquantes. Troué comme la mémoire.

Ne le notait-il pas, voici plus de trente ans, dans La mise en quarantaine : « Écrire est la ressource de l’absence, le faire-part du manque ».

Francine Ghysen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 183 (2014)