Jean-Philippe Toussaint, L’urgence et la patience

Dans l’atelier de Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe TOUSSAINT, L’urgence et la patience, Minuit, 2012

Ceux qui ont lu les déjà dix livres de Jean-Philippe Toussaint, tous publiés aux éditions de Minuit, se précipiteront sur ce dernier opus, L’urgence et la patience, essai constitué de textes pour la plupart publiés en tiré à part, préface, postface et autres contributions diverses. Essai, disons-nous, mais qui chez Jean-Philippe Toussaint, ne s’éloigne jamais tout à fait de la fiction. On retrouve dans ces textes un point de vue, une précision lexicale, un souci du détail, un ton décalé non dénué d’humour qui font le charme de son œuvre romanesque. De sorte que cette réflexion sur l’œuvre en train de se faire en devient un élément constitutif au même titre que les autres livres. La voix de Toussaint dans cet essai n’est guère différente de celle des narrateurs de ses romans.

Le premier texte donne à voir la naissance d’un écrivain, en septembre ou octobre 1979, lui qui n’avait jamais pensé auparavant qu’il écrirait un jour. Une fois ce personnage posé, il nous en livre les auxiliaires : machines à écrire, dont « sa grosse Olivetti ET121, si belle, si performante », ses carnets, calepins et blocs-notes, ses feutres, etc. ce qui lui fait dire selon son humour si particulier : « Je croyais aimer la littérature, mais c’est l’amour de la papeterie que j’ai, ma parole ! » Il campe ensuite les lieux où sévit ce personnage, les bureaux où sont nés ses livres, en Corse, à Paris, au Japon… Depuis un premier manuscrit, Échecs, jamais publié jusqu’au dernier, La vérité sur Marie, sorti en 2009. Des lieux réels mais aussi des lieux fictifs, comme ces hôtels qui surgissent de manière récurrente dans ses romans et dont il décrit avec précision la « construction » à partir d’éléments épars pour aboutir à « un nouvel élément, un bâtiment hybride, fantasque et littéraire, une construction immatérielle d’adjectifs et de pierre, de métal et de mots, de marbre, de cristal et de larmes. » Ce personnage, l’écrivain Jean-Philippe Toussaint, est aussi amené à faire des rencontres : François Truffaut, dans Les Films de ma vie, le Dostoïevski de Crime et châtiment, Proust, Beckett plusieurs fois, de la manière la plus déterminante, car liée à l’écriture, et celle avec l’éditeur, Jérôme Lindon, « confirmation en puissance de l’orientation de ma vie. »

Restent deux ingrédients, deux moteurs pour faire un écrivain, présentés au cœur du livre et qui en font le titre : L’urgence et la patience. « L’urgence, qui appelle l’impulsion, la fougue, la vitesse – et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l’effort. Mais elles sont pourtant indispensables l’une et l’autre à l’écriture d’un livre, dans des proportions variables, à des dosages distincts, chaque écrivain composant sa propre alchimie, un des deux caractères pouvant être dominant et l’autre récessif, comme les allèles qui déterminent la couleur des yeux. » Suit la distinction entre les écrivains patients et les écrivains urgents. Puis, plus loin : « L’urgence est un état d’écriture qui ne s’obtient qu’au terme d’une infinie patience. Elle en est la récompense, le dénouement miraculeux. Tous les efforts que nous avons consentis au préalable pour le livre ne tendaient en réalité que vers cet instant unique où l’urgence va surgir, le moment où ça bascule, où ça vient tout seul, où  le fil de la pelote se dévide sans fin. » Et vous, serez-vous le lecteur patient ou le lecteur urgent de Jean-Philippe Toussaint ?

Michel Torrekens


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 171 (2012)