Cahier Ghelderode n°1 : Sire Halewyn

Si Halewyn m’était conté

Cahier Ghelderode N° l, Sire Halewyn, 2007

Pour inaugurer les Cahiers qui, désormais, proposeront une fois l’an un dossier thématique, à côté du très vivant et varié bulletin de liaison Le Papegay, l’Association internationale Michel de Ghelderode a choisi Sire Halewyn. Ce ténébreux enchanteur qui, selon la légende, envoûtait et menait à sa perte qui entendait son chant mélodieux. Un artiste assassin, en qui Ghelderode voyait, non sans justesse, «une réplique mâle des fameuses sirènes».

Ce premier numéro s’avère captivant, dense et plein de surprises.

Il s’ouvre par la ballade flamande anonyme du XIVe siècle, qui nous raconte comment l’intrépide fille du roi, d’un coup de glaive, trancha la tête de celui qui l’avait déjà conduite près de la potence «où maints corps de femmes balancent».

Nous donne à découvrir, et à comparer, les textes qu’Halewyn a inspirés. À Charles De Coster d’abord, dont le long récit touffu parut pour la première fois, en l857, dans le journal l’Ulenspiegel, puis en volume (le recueil Légendes flamandes), plusieurs fois réédité, notamment en l930 chez Les Invalides réunis, avec les illustrations d’une fine élégance de Victor Stuyvaert, reproduites ici en fac-similé. Mais aussi à Marie Gevers. À une presque inconnue, Suzanne de Giey, auteur de contes pour enfants, chroniques, bandes dessinées (dont Le Sire Halewyn), et qui noua une amitié épistolaire avec Ghelderode.

Il réunit un bel ensemble d’articles, inédits sauf celui de Raymond Trousson, qui étudie trois variantes, trois visions de cette légende vivace. Le récit de Charles De Coster, exalté par sa découverte de cette ancienne ballade populaire, à ses  yeux «historique, sublime et vraie», et qui la recrée, brodant sur sa trame mille péripéties, dans un style très imagé. Près d’un siècle plus tard, la pièce grave et dépouillée d’Herman Closson, qui colore l’histoire d’un romantisme altier : l’amour naît entre Halewyn et Frédérique, mais, fidèle à la mission qu’elle s’est assignée, la jeune fille poignarde celui dont elle sera la veuve inconsolable. Enfin, le drame radiophonique de Ghelderode, écrit en l934, qui était pour son auteur «bien plus un poème théâtral, un opéra oral, une fresque vocale -ou ce que vous voudrez- qu’une pièce de théâtre au sens strict». La version la plus intense, la plus tragique : l’héroïne au nom inoubliable, Purmelende d’Ostrelande, après avoir occis l’enchanteur maléfique, l’appelle en un cri déchirant, et meurt à son tour.

Parmi diverses collaborations de qualité, on citera aussi celle de Jacqueline Blancart-Cassou, qui analyse remarquablement cette «fresque vocale», à ses yeux «une des créations les plus profondément personnelles de Ghelderode».

Ce numéro révèle encore les projets lyriques tissés à partir de Sire Halewyn. Celui de Sara Huysmans, qui tenta d’y intéresser Benjamin Britten ; celui de Liliane Wouters, dont figurent ici les fragments d’un opéra rêvé : Sire Halluin.

Ajout précieux : un CD Rom, glissé dans la brochure, nous permet de réentendre la langue magnifique de notre plus grand dramaturge dans ce «poème théâtral» mis en ondes par Jean-Paul Humpers pour la RTBF en l980, qui nous transporte «aux temps médiévaux, en Flandre de plaine et d’hiver»…

Ainsi ce premier Cahier s’inscrit-il avec bonheur dans la ligne de l’Association internationale Michel de Ghelderode, fondée en l980 par le professeur Roland Beyen et l’homme de théâtre Jean-Paul Humpers : promouvoir l’œuvre de Ghelderode, à l’étranger et en Belgique, en unissant le volet scientifique et le volet créatif. La recherche et l’art.

Francine Ghysen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°149 (2007)