Colloque Simenon et la biographie

georges Simenon

Georges Simenon

Comme le pou dans la chevelure, le biographe… (TENNYSON)

Et ça nous démange. Depuis l’Antiquité, avec ses Vies illustres et exemplaires, jusqu’à nos Paris-Match et nos Vies d’une infirmière, d’un maçon, d’un prêteur sur gages, les biographes ont toujours satisfait notre désir de pénétrer dans la vie d’autrui. Mais à l’égard d’un écrivain, l’enjeu est sans doute plus important, ou du moins plus subtil. N’est-il pas alors nécessaire de se mesurer également à une écriture ? Alain Vircondelet, auteur d’une biographie sur Duras, entend redoubler l’écriture de l’écrivain par la sienne propre, en sorte de clé d’introduction à son œuvre. Alain Buisine, lui, ne jure que par la micro-biographie, qui, dans sa miniature (le récit d’une journée de Proust), reproduit (c’est-à-dire invente raisonnablement) les plus infimes détails de la vie quotidienne, et tente pa- là d’en donner une impression toute sensitive. L’une des problématiques les plus sensibles aujourd’hui de la biographie se pose en effet en ces termes empruntés à Renaud Camus : devrait-elle textualiser le contexte au lieu de contextualiser le texte ? et ainsi rendre l’écrivain à la littérature plutôt que le contraire qui les dévalue tous deux ? Pierre Mertens a choisi son parti : il préfère résolument l’écrivain au biographe, choisit le roman autobiographique et sa morale contre les petites moralités, toujours mensongères au regard du Mystère des Lettres, de la biographie.

Mais la plupart des biographes, les simenoniens en tout cas, préfèrent la méthode classique de l’enquête. Et le public semble leur octroyer son assentiment. Pierre Assouline, par exemple, tient à la démarche journalistique parce qu’elle lui semble à la fois la façon la plus fidèle et la plus critique de relater la vie d’un homme.

On relata cependant, lors de ce colloque, une lettre qui lui adresse Marc Simenon, le fils de l’illustre, et dans laquelle celui-ci lui reproche des « fausses notes qui ont tout gâché » : non, papa n’était pas antisémite, non il ne fut pas collabophile, non il n’était pas opportuniste ; papa est un saint, voilà tout. Mais la Science se rebiffe, avance ses preuves irrespectueuses de la mauvaise mémoire des hommes. Après la morale de la littérature, c’est la morale tout court et la liberté de penser qui revendiquent leurs droits. Car on peut être fasciné par l’écrivain sans apprécier l’homme, sans du moins vouloir escamoter ses « côtés moches ». C’est un peu ce qui est arrivé à Pierre Assouline.

Car il est vrai que dans ses avancées théoriques, quant à la méthode et à la déontologie, le biographe est forcé de tirer le portrait de notre contemporanéité férue d’individualisme exorbitant mais démunie de valeurs. Quand la littérature comme valeur fait défaut, que reste—t-il du projet de biographie d’un écrivain ?

C’est un peu de cela, parmi d’autres choses, qu’il fut question lors du troisième colloque que le Centre d’études Georges Simenon, sous la direction de PaulDelbouille et de Danielle Bajomée, organisa à l’Université de Liège les 22, 23 et 24 octobre derniers. Comme à tous les colloques, il y en eut pour toutes les bouches, pour les gourmets et les gourmands, des douces et sucrées, et d’autres piquantes comme le sel et savoureusement épicées.

Les actes paraitront dans le numéro 5 de Traces, la belle revue de ce Centre, en septembre 1993.

Sémir Badir


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°75 (1992)