Thierry Horguelin, La nuit sans fin

L’effet papillon

Thierry HORGUELIN, La nuit sans fin, sept histoires pour occuper le jour, L’oie de Cravan, 2009

horguelin la nuit sans finThierry Horguelin semble apprécier la matière nocturne, lui qui en 2005 avait édité Le voyage de la nuit, et qui publie, quatre ans plus tard La nuit sans fin,  toujours aux éditions de L’Oie de Cravan à Montréal.

Au long des sept nouvelles qui composent son dernier recueil, Thierry Horguelin met en place un univers entre réalité et fiction dont le côté trouble se révèle délicieusement angoissant. Le genre de nouvelles qui fait frissonner le lecteur tout en lui permettant de mesurer le bonheur tranquille qu’il a de ne pas être l’un des personnages plongés par l’auteur dans des histoires infernales.

Thierry Horguelin apprécie la diversité de lieux, des époques, il joue avec les genres, secoue les temporalités, jongle avec les espaces, fait passer instantanément d’un monde à un autre dans une mécanique huilée. Un procédé qui a pour effet d’insuffler  une dynamique, un rythme soutenu d’écriture qui caractérise tout le recueil.

Au bord de la spirale infernale, au cœur de l’effet papillon, Thierry Horguelin est le maître des réactions en chaînes auxquelles rien ne semble pouvoir mettre un terme. À l’instar de la nouvelle qui ouvre le recueil intitulée « Le contretemps », où un fait en entraîne un autre pour finalement ramener à la case départ, dans un phénomène de boucle, les récits mis en place sont autant d’espaces d’enfermement et d’emprisonnement teintés d’infini.

Ainsi, la nouvelle « La nuit sans fin », éponyme du recueil, occupe une place centrale non seulement spatialement, mais aussi thématiquement. Elle enferme en quelque sorte les techniques et les éléments communs à la plupart des textes. Carter, le héros de la nouvelle, se trouve immergé dans une série de situations angoissantes qui durent jusqu’à ce qu’il subisse un acte de violence qui lui fait perdre connaissance et l’emporte dans un autre univers. Carter se trouve pris, malgré lui et sans aucune prise sur ce qui lui arrive, dans une imbrication de situations et d’époques qui vont du polar noir américain, au conflit armé, en passant par le western, l’espionnage, l’inquisition espagnole, la science-fiction… Un glissement sans cesse réitéré auquel rien ne semble pouvoir mettre un terme. Technique tourbillonnante qui dégage une atmosphère étrangement pesante évoquant l’ambiance de la série culte « La quatrième dimension ».

Une mention qui n’est pas anodine, puisque Thierry Horguelin manipule les références culturelles, artistiques, avec une présence appuyée du théâtre, comme dans la nouvelle  « Le trou du souffleur », mais également du cinéma et de la télévision. Ainsi dans le texte « L’homme à l’anorak jaune », le narrateur victime d’insomnies a pour habitude de plonger dans ce qu’il nomme « le cimetière des épaves télévisuelles que sont les petites heures de la nuit», jusqu’à ce que son attention se fixe sur la série Simple Cops. Le narrateur est d’abord intéressé par Cleveland, ville où se déroule la série, puis par le profil des personnages, mais c’est surtout un personnage secondaire, apparaissant de manière furtive dans chacun des épisodes de la série, qui va créer sa fascination. Fascination pour cet être qui semble condamné à « tourner sans fin », dans le sens cinématographique et déambulatoire, sans espoir de repasser de l’autre côté du décor, c’est-à-dire de quitter le monde fictionnel de Simple Cops pour regagner la réalité à laquelle il a appartenu.

Thierry Horguelin propose avec La nuit sans fin un recueil terriblement efficace et dynamique dont on souhaiterait que lui non plus ne prenne pas fin.

Laurence Ghigny


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°160 (2010)