Hommage : Paul Bourgoignie

paul bourgoignie

Paul Bourgoignie

Verbe alourdi
Bavoir du réel

René Magritte, pendant l’été 1958, fit le portrait d’un homme mince, torse nu, regard direct et barbe fine, dos au ciel encadré de rideaux, sous le premier croissant de lune.

Le titre du tableau était d’abord « La dernière chemise » (la même année une toile semblable, avec une femme nue, vue de dos, s’intitulait bien « La tenue de soirée »), ensuite « L’immondice », puis « L’enfant naturel ». Ce tableau a disparu depuis lors, peut-être en Italie, et des raisons juridiques nous en empêchent la reproduction.

L’homme du portrait était Paul Bougoignie : écrivain discret, toujours habillé à la ville d’un veston Old England impeccable, veston qu’il remplaçait rituellement tous les 15 ans. Poète, il n’aimait pas les mots croisés (« on moud du vide finalement ») il les croisait lui-même :

CROISER UN
SORCIER NU

Né en 1915, dès l’avant-guerre il s’occupe de théâtre prolétarien, rencontre tôt Chavée (à La diligence), fonde l’Hebdomadaire de Précision politique et littéraire Le salut public. Dès 1939 il projette avec Broodthaers qui a 15 ans, un roman collectif L’air bête du petit-fils de Proniacovache qui, comme son titre ne l’indique pas, traite de la mobilisation de l’armée belge (« envoie moi des scatologues »). Il cosigne le manifeste du Surréalisme Révolutionnaire Pas de Quartiers dans la Révolution !, au nihilisme foncier, Dotremont publie ses « Borborigmes dans l’argendârmerie… Le rire m’irrite comme l’ortie. Il n’y a pas de quoi, il n’y a jamais de quoi rire ; si non lucidement du malheur ».

Architecte, il bâtissait avec les mots (« Ne jamais perdre le sens de la démesure ») comptant minutieusement les barres qu’il traçait pour d’autres, dessinant des appartements avec sauvage central… Au dernier numéro de Cobra, Colinet, enquêtant sur les vacances à la mer lui dit : « Les architectes, ici comme ailleurs, bâtissent sur le sable, la différence est qu’ici on voit le sable du premier coup d’œil. Le trajet que l’esprit doit couvrir pour arriver à son terme est beaucoup plus court ; voilà pourquoi nous sommes ici en vacances ». Bourgoignie lui dialogue « La ligne droite se sert de l’origine comme d’un oreiller et de la fin comme d’une courtepointe, tandis qu’elle reste à rêver sous l’édredon du temps ».

Son recueil La brouette au long cours accosta comme Brouette aux longs-courts chez Phantomas. Textes longs : quinze pages pour décrire une seule journée à Paris avec Koenig, Piqueray et Puttemans, autres « Types en or » « et moi je m’en tenais à la surface bleue du vin suffisamment sédenté pour y faire le tombeau définitif d’une étoile… ».

Textes courts « Chérie, allons encore à confesse », objets : chez Cobra il expose un téléphone, dans Amenophis, Les lèvres nues, il dessine. Sobre, il se présentait imbibé comme une éponge à l’inauguration de l’exposition sur le surréalisme au Musée. Magritte lui avait écrit : « Mon cher Bourgogne / vous êtes charmant Bourgoignies / (et j’ai vécu jadis à Soignies) ». Ses amitiés : Calet (Le tout sur le Tout), Beckett (Molloy), Marivaux, Sade et l’Abbé de Choisy, Thelonius Monk en concert… Il n’aimait pas Labisse ni Delmotte.

Handicapé depuis quatre ans, Paul Bourgoignie est mort en ce mois de mars. Il figure au centre du tableau de Jane Graverol (au Musée de Liège) avec ses amis. Que le collage verbal des titres de revues auxquelles il collabora l’entoure d’une épitaphe poétique : Le salut public, Les deux sœurs, Le petit cobra, Cobra, Strates, Hvedekorn, De tafel ronde, Le tressor, et Les lèvres nues, Le journal des poètes, La carte d’après nature, Phantomas et Amenophis, Le mensuelNE RÉPONDS PAS À QUI N’Y VOIT QU’UN JEU.

Jean-Michel Pochet


Repères

Moroses Mots Roses, Daily Bul, coll. « Poquettes volantes »
La brouette aux longs-courts, Phantomas
Textyles : Surréalismes de Belgique, novembre 1991
Christian Bussy, Anthologie du surréalisme en Belgique, Gallimard
Marcel Mariën, L’activité surréaliste en Belgique, Lebeer-Hossmann
Le fait accompli, Les lèvres nues
Théodore Koenig, Histoire de la peinture chez Phantomas, Lebeer-Hossman


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°88 (1995)