Ils sont détectives privés, commissaires, simples flics ou bouquinistes… De livre en livre, ils baladent leur tenue caractéristique, reproduisent leur méthode d’enquête plus ou moins infaillible, imposent leurs petites manies. « Caractères de police » est une série consacrée aux héros et héroïnes du roman policier belge.
Si les (drôles de dames) enquêtrices sont nombreuses à tenir le premier rôle dans les séries télévisées (même si souvent flanquées d’un homme), elles ont moins leur place en littérature policière. Cette rubrique que consacre Le Carnet et les Instants aux héroïnes et héros du roman policier belge consigne, malgré elle, le constat. Combien d’enquêteurs pour une enquêtrice ? Ne classons pas l’affaire pour autant. Il est quelques investigatrices qui ne laissent pas les assassins dormir tranquilles. Ainsi Tiziana Dallavera, née de l’imagination et de la bienveillance de Sarah Berti.
Tiziana Dallavera, jeune et jolie, douée et dotée de merveilleux yeux mauves (Sarah Berti insiste beaucoup sur la couleur de son regard) n’occupe pas un poste élevé dans la hiérarchie policière. Elle est agente[1] à l’antenne de Rebecq, une agente quasi novice dans le premier tome, aspirante inspectrice dans les deux suivants, une agente que sa famille verrait bien dans un métier plus féminin, sans cet uniforme bleu si peu seyant mais rassurant dans nombre de circonstances malaisantes. Elle souhaiterait également qu’elle se marie, mais Tiziana et les hommes c’est une autre histoire, une histoire intime, bancale, sans résolution.
Dans les trois romans[2] dont les titres fleurent bon la cuisine italienne (Le jour du Tiramisu, Cappuccino blues et La vie al dente), on ne suit pas Tiziana dans ses moindres faits, gestes, pensées, mais chaque fois qu’elle apparaît, elle illumine la scène de sa sympathie. Sa personnalité sociable, chaleureuse en fait une parfaite agente de liaison entre les différents groupes de personnages. Et des personnages il y en a (Sarah Berti aime à les décrire, sans jugement aucun, avec leur façon singulière de penser et de réagir) : des bien et parfois bons vivants, des moins vivants, des morts vivants, et des vraiment morts. On pourrait les répartir en plusieurs catégories fonctionnelles : les habitantes et les habitants fictifs de la petite commune bien réelle et pas si tranquille de Rebecq, sise dans le Brabant wallon ; le personnel de l’antenne de police dirigée par le commissaire Henri Desquières ; et la famille italienne de Tiziana, qu’elle retrouve tous les dimanches pour le repas cuisiné affectueusement par Nonna Teresa, et dans d’autres moments où le besoin de réconfort, culinaire ou pas, se fait ressentir. N’oublions pas l’univers des personnages liés aux crimes avec qui elle fraie pour découvrir les meurtriers et leurs motivations, les témoins et les suspects. Et les assassins, des êtres normaux sans rien d’exceptionnel qui, désespérément, erronément, ont choisi la vengeance et la violence pour supporter les gouffres de la vie, de l’amour, du sexe, et tenter de réparer l’irréparable.
Pour dépister les meurtriers ou retrouver les personnes disparues, le commissaire répartit les tâches : qui de l’enquête de voisinage, de la perquisition, qui de l’interrogatoire des proches de la victime, qui des affaires courantes de l’antenne, etc. Sans Tiziana, ces affaires resteraient peut-être irrésolues. Au moment où l’enquête s’embourbe, elle découvre des indices, des témoins qui permettent de relancer la machine grippée. Et à la fin, au terme de quelques fausses pistes, elle découvre la clef de l’énigme. Quand on dit « elle », il ne faut pas négliger l’aide éclairante qu’elle reçoit de Lorenzo, son jeune frère « au cerveau supersonique » et celle de sa collection de Playmobil (oui, vous avez bien lu) qu’elle continue d’agrandir…
Nous avons demandé à Sarah Berti pourquoi elle avait choisi de donner une place particulière à ce personnage. « Je voulais parler de l’immigration italienne telle que l’ont connue les personnes de ma génération, une immigration joyeuse, gastronomique, familiale, légère. À l’inverse de la génération de mes grands-parents qui l’ont vécue comme un exil ou de celle de mes parents qui l’ont vécue comme une difficulté d’intégration, ma génération n’en a connu que les bons côtés. Pour nous, avoir un part d’Italie c’était un plus, une chance. Je voulais aussi une héroïne gaie et heureuse, à l’inverse des héros de polars souvent désabusés, meurtris, torturés. En gros, écrire un roman policer, oui, pour l’intrigue, les relations interpersonnelles, mais surtout un livre qui rend joyeux, qui ouvre l’appétit et l’envie d’aimer les siens tant qu’ils sont là. C’était aussi un hommage à mes racines. »
Malheureusement les enquêtes de Tiziana Dallavera en resteront probablement là, leur autrice ayant suivi d’autres pistes littéraires, comme ses derniers romans[3] le montrent, des romans où elle continue de regarder les êtres avec humanité.
http://www.tizianadallavera.be/
Michel Zumkir
[1] Nous avons féminisé le métier de Tiziana, ce que ne fait pas l’autrice. Nous avons laissé assassins au masculin, car dans le crime, le plus souvent, le masculin l’emporte, et même si dans La vie al dente, peut-être que…
[2] La trilogie a été publiée initialement aux Éditions Luce Wilquin entre 2013 et 2015.
[3] Avant les tournesols (Luce Wilquin, 2018), À l’aube, fuir (autoédition, 2023).
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°217 (2023)