Tourments et superbe

Un coup de cœur du Carnet

Yvon GIVERT, Le voyage immobile et autres poèmes, Taillis Pré, 2019, 156 p., 18 €, ISBN : 978-2-87450-144-9

Affres plus que spleen, Le voyage immobile et autres poèmes d’Yvon Givert sont de la douleur pure. L’expression d’une souffrance ultime quoique contrôlée, et profondément enfouie entre les nervures et filigranes des pages, comme en un tissu nerveux imbibé de chagrins soumis à la raison, la lucidité, la force de pensée et de caractère. Pour ne pas déranger, ne pas déborder, ne pas contagier autrui… ni peut-être sombrer dans la folie.

la tête allume un incendie d’iris

L’isolement qu’a imposé sa paraplégie, handicapant son corps physique et social, a restreint l’auteur au métier de « rédacteur pour l’administration publique », et l’a de plus porté à écrire pour dépasser ce statut. L’écriture pour Yvon Givert est à la fois ce qui le limite et le libère.

Le vide entre les mots rend le vent
respirable

Le voyage immobile explicite une irrésoluble tension. Il est un oxymore qui sublime sa condition et réclame en exergue l’inaccessible :

Racines à découvert
Je revendique l’errance

Les paroles s’envolent, les cris restent ; l’auteur écrit pour ne pas hurler. Sa pudeur pensée à fond, la plume pour unique secours, y cherchant la Grâce d’un pas suspendu / D’un seul élan la pesanteur vaincue, il constate à tout coup :

on ramasse son visage
on balaie le jour de la main
on attend la nuit
pour oublier

À la lecture de ces fragments et autres poèmes, tous terriblement soignés, me reviennent obstinément ces vers de Baudelaire adressés en pleine face ; sans fard, sans masque. Pour nous rappeler que l’abîme d’être humain est partagé de tous, en toute équité, sans doute la seule, quoi qu’on dise ou pense, paraplégique ou non :

Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère !

Cet abîme, ce monstre, l’ennui, la torpeur sont l’insidieuse réponse à l’impossibilité de vivre une infinitude de rêves nés d’une mesquine réalité. À l’impossibilité de vivre tout court.

j’écrase avec des larmes
un tracé de questions

Tito Dupret