Quand la détresse hurle pour être déterrée

Tania NEUMAN-OVA, Miss Patchouli, M.E.O., 2019, 154 p., 15 €

Avec Miss Patchouli, Tania Neuman-Ova nous plonge dans l’univers de Lilou, la quarantaine, qui tente de mener sa barque avec son mari Richard et ses filles. L’aînée, née d’une précédente union, vit avec son père à Paris, tandis que les deux cadettes, Alana (14 ans) et Kayla (13 ans) habitent avec leurs parents. L’histoire d’une famille recomposée classique, me direz-vous ? Oui, mais rien n’est simple face à une adolescente (Alana) en pleine rébellion qui multiplie les provocations et les insultes vis-à-vis de ses parents.

Richard est un père aimant qui compose souvent pour ménager les trois femmes de sa vie. De son côté, Lilou a beau avoir un look baba cool et les idées larges, elle commence à être à bout face aux violences de sa fille. Narratrice à la première personne, elle alterne les fragments de vie quotidienne avec sa famille et des retours dans le passé où elle relate sa jeunesse chaotique parsemée de nombreux voyages et de petits boulots improbables. Avec son passé de globe-trotteuse et de touche à tout, on pourrait penser qu’elle a le coffre pour gérer la crise d’adolescence d’une fille en furie, mais il n’en est rien. Lilou s’interroge sur le comportement de sa progéniture, se demande ce qu’elle a pu lui transmettre pour qu’elle se révolte avec une telle véhémence.

Au fur et à mesure que nous avançons dans le récit, nous découvrons qu’Alana a été à plusieurs reprises victime de harcèlement (par son institutrice, d’autres élèves de son établissement, des jeunes participant à un camp avec elle). À chaque fois, Lilou l’a changée d’école pour la protéger, mais la violence de la jeune fille ne s’est pas calmée, que du contraire. À bout de nerfs, Lilou se met à surveiller les comptes Facebook et Messenger de sa fille jusqu’à découvrir qu’Alana s’apprête à entrer dans un gang. Le point de non-retour est arrivé : une discussion s’impose avec l’ado rebelle, mais celle-ci révèle un secret qui va bouleverser ses parents…

Mais comment a-t-elle pu garder le silence sept longs mois ? Comment Richard et moi n’avons-nous rien remarqué ? Une bombe vient d’exploser au sein de la famille et chacun y réagit à sa façon. Richard déborde de haine, du désir de vengeance. Il culpabilise de n’avoir pas su protéger sa fille. Il a perdu le goût pour un métier qui le passionnait et néglige presque ses chantiers. Kayla se renferme encore davantage et devient agressive à la moindre remarque, à la maison et à l’école. […] Quant à moi, j’ai cessé toute activité pour rester avec Alana vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je lui ai momentanément interdit l’école. Je vais sans doute aussi perdre mon nouvel emploi, peu importe, mon unique préoccupation est ma fille. 

L’auteure nous donne à lire à travers des dialogues durs et explosifs la complexité de la communication entre les parents et leur ado en pleine crise. On palpe la détresse d’Alana qui cherche à s’exprimer en détruisant tout sur son passage, mais on sent aussi les doutes de Lilou, sa culpabilité permanente, son besoin de préserver sa famille, son épuisement face à sa fille qui la rend responsable de tout (« Je n’en peux plus. Si, en apparence, je semble gérer, je ne vis plus, je survis, entre Alana et son agressivité permanente, Richard qui risque de devenir incontrôlable et Kayla dont la maturité à treize ans n’a rien de naturel »).

Ironie du sort : c’est souvent aux personnes qui nous aiment le plus et qui ne nous abandonneront jamais que l’on s’attaque le plus (« Face à cette tragédie, mes disputes avec Alana devraient paraître dérisoires. Elles m’usent pourtant à petit feu. Je n’ai pas perdu physiquement ma fille, mais le cocktail de méchanceté, menaces et insultes me l’ont fait perdre sur un autre plan. »). La systémique familiale est complexe, parsemée de zones d’ombre, et nous en avons un bel exemple ici.

À la fin du récit, la narratrice nous confie qu’écrire cette histoire lui permet de se connaître et d’apprendre à lâcher prise par rapport à sa volonté de contrôler ses filles pour les protéger. On regrettera toutefois, dans ce premier roman, des descriptions qui amenuisent la tension dramatique et une certaine complaisance à parler de soi.

Séverine Radoux