La vie en somme

Luc BAWIN, Soustractions, Academia, 2020, 134 p., 14 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-806-10514-1

luc bawin soutractionsC’est décidément tout l’art du romancier que de nourrir ses créations de sa propre expérience et, par la voie de l’écriture, de la métamorphoser en fiction pour lui donner corps et sens aux yeux de ses semblables. Luc Bawin est médecin et ses engagements professionnels et militants lui ont donné l’occasion de côtoyer le milieu de l’adoption et celui du soutien aux réfugiés, deux thématiques qu’il marie dans Soustractions, œuvre aux résonances multiples.

Gaëlle est une jeune femme qui s’interroge sur les conditions de sa naissance et revient sans cesse aux mêmes questions, ne se satisfaisant pas de la réponse de toujours qui lui est donnée, et du malaise évident qui entoure son arrivée par adoption dans une famille aimante. Alors qu’elle se remet d’un début de grossesse qui a mal tourné, elle se décide à interpeller sa mère adoptive qui se résout enfin à lui révéler l’identité de sa mère biologique. Un point de départ qui lui livre une pièce manquante de son histoire.

Tom est son compagnon, il est enseignant et est un homme engagé. Avec son ami Éric, il est de toutes les démarches pour un monde plus solidaire, il fait circuler des pétitions qui dénoncent la politique du gouvernement, notamment en matière d’asile. Son engagement est actif, et il passe notamment par l’hébergement chez lui de sans-papiers.

Arrivé chez eux, Younes profite de quelques jours de répit avant de reprendre la route en espérant rejoindre l’Angleterre pour y réaliser l’espoir des siens qui ont financé son voyage. Le jeune homme est bon cuisinier, il aime la musique, il observe ce jeune couple qui l’accueille tout ne mesurant ce qui les sépare.

Rapide, le roman prend successivement le point de vue de ses différents personnages pour mieux souligner la singularité de leur parcours, des questions qui les animent. Centrée sur son désir d’enfant en même temps que sur les mystères de ses origines, Gaëlle est aussi une créatrice. Dans son métier de coiffeuse, mais également dans sa passion d’aquarelliste. Avec Tom, elle a des projets communs, mais ce dernier est un être du dehors, dont elle partage les convictions. Younes mesure la générosité de ses hôtes tout en restant absorbé par l’horreur qu’il a fuie et les difficultés à surmonter.

Dans cette tranche de vie, chacun franchira des étapes, porté par une force vitale. Des êtres s’épaulent pour mieux repartir, sans que l’on sache trop qui est aidé ou aidant, car tous sont tournés vers demain. Les zones de souffrance demeurent sans prendre le dessus, le tout sans que l’on sombre dans la mièvrerie ni le moralisme qui menacent les romans ancrés dans les réalités sociales. L’écriture suit ce mouvement, elle est fluide et reste sobre quand elle dit l’intime, elle conserve les silences nécessaires. Le tout est rythmé par la pratique de l’aquarelle, cet art subtil  où rien ne se gomme, en écho au récit. Un roman abouti et riche, débordant d’humanité.

Thierry Detienne