L’harmonie d’une dissonance

Tom NISSE, Une longue dissonance, Maelström, coll. « Rootleg », 2021, 54 p., 6 €, ISBN : 9782875053879

« j’ai l’air de fragmenter comme ça, en réalité j’unis »
Ch. Dotremont

nisse une longue dissonanceCeux qui ont eu l’occasion d’entendre Tom Nisse sur scène savent l’importance qu’il accorde à ce subtil dosage qui s’opère entre la forme, le propos et le corps dès lors que l’on se trouve face au public. Accompagné ou non d’un musicien, le poète sait jouer de cette alchimie particulière. Rares en effet sont les poètes qui parviennent comme lui à trouver la juste mécanique de cet engrenage dans le scandé, dans la (pro)pulsion du poème. C’est dire si la lecture d’un nouveau texte de Tom Nisse résonne de cette voix grave et fissurée dont il a le secret. Une parole poétique tendue qui rend compte des harmoniques souvent dissonantes du monde contemporain et des voix de celles et ceux que l’on a muselés, effacés. Voix lézardées comme le sont les murs des villes que le poète arpente dans des errances nocturnes, sous les lumières blafardes des rues qui font parfois tanguer les corps.

Un printemps de deux jours à Limoges
quand le pire est là on ne le perturbe plus
une halte au bar gris à la gare de Nantes
un jardin suggéré par la vue des pétales
puis un bourg au nord des terres natales
le corps réaffirmé par la voix le transfert.

Avec ce recueil, Une longue dissonance, composé de soixante-six sizains, Tom Nisse poursuit un travail exigeant sur la langue sans jamais perdre ce lien essentiel avec le réel, avec cet engagement dans l’espace social auquel il appartient et dans lequel il intervient. Dans Reprises de positions, un court texte publié en 2013 à l’enseigne du Mi(ni)crobe, le poète synthétisait en quelque sorte sa démarche poétique en insistant notamment sur ce réalisme lucide qui alimente sa démarche : « pas un réalisme descriptif ou naturaliste, mais réalisme parce que compagnon de poésie intrinsèquement mêlée à la réalité perçue et vécue ».

À l’unisson des réprouvés, la voix du poète balance, chaloupe ici sur un rythme entre présences et absences, toutes ces choses que la voix aurait pu dire quand l’autre était encore là, quand la complicité régnait entre les corps offerts.

Tu as oublié ta lime à ongles
je m’en servirai pour ces doigts
qui ne te touchent plus nul part
ne font plus le contour des joues
ne serrent plus l’osmose du sein
ne déclenchent plus la cambrure.

À l’accord brisé répond pourtant dans le texte de Tom Nisse une autre harmonie, celle de la mise en page des soixante-six sizains, deux par page, symétriques, ordonnés comme si l’organisation poétique permettait ici de maintenir un certain équilibre dans la déroute.

L’art possède la grâce de rester immaculé
et ton aquarelle garde sa place sur le mur :
une résonance du bar où il y a des années
nous nous sommes connus courbes rouges
vers un couloir reflets de la nuit un rideau
une bouteille dans un miroir noir qui coule.

Rivé au cœur comme au corps du poète, le poème devient toujours un peu plus, au fil des recueils, cette seule source capable de rendre vie, expérience de sauvetage, seul moyen peut-être de « désenclave[r] des solitudes ». Par cette harmonie, même déchirée, entre la voix et l’écrit que Tom Nisse maîtrise si bien !

Rony Demaeseneer