L’Art est une fenêtre

Franck FENESTRE, La fin des Trucmoches, L’art-dit, 2023, 202 p., 20 €, ISBN : 978-2-9192-2174-5

fenestre la fin des trucmochesLif est un jeune homme de treize ans qui vit en autarcie avec ses deux parents dans le village portant le nom farfelu de Lalalère. Sa mère est une vendeuse constamment inquiète à l’idée de ne pas avoir de quoi manger et son père est un artiste qui crée des Trucmoches, des objets artisanaux séduisant les touristes de passage. Il n’est toutefois pas satisfait de son travail et décide de se lancer dans un art qu’il estime révolutionnaire : des cercueils en forme de S, T, X ou Y qui feront « danser les morts » dans leur dernière posture. Le ton est donné.

Nous découvrons très vite que cette famille sort des sentiers battus : chérissant leur maison délabrée parcourue d’illusions d’optique, les trois héros nous plongent dans un univers fantasque et loufoque dont les contours sont inhabituels. Le père réinvente constamment le monde à partir de rien et emmène femme et fils dans son imagination foisonnante, frôlant les limites du raisonnable. Ils discutent régulièrement à bâtons rompus de leurs désirs et de leur normalité, nous donnant à lire des dialogues savoureux où l’on comprend la manière dont leurs mondes s’accordent les uns aux autres.

– Tu vois papa, je suis nul ! Et puis je suis timide, incapable d’aborder une fille !
– Le repli sur soi-même est une qualité pour vendre une posture dans un cercueil.
– Enterrer un oiseau mort me fait pleurer !
– Tu es émotif, et je vends de l’émotion.
– Les vieux tout tremblants me font trembler d’angoisse !
– Tu éprouves ce qu’ils éprouvent : empathie commerciale.
– Là ! C’est toi, le vendeur ! Tu as tous les arguments !
– Lif, tu rigoles ? Tu as eu 19 en français et 18 en expression orale !
– Zéro en histoire, papa !
Je fus pris à mon propre piège.
– Fils, c’est justement ton zéro qui me sauvera ! Tu t’écartes de l’Histoire parce que tu es un créateur d’histoires !

Lorsqu’une chorégraphe repère la démarche originale de Lif et l’invite à entrer dans une école de danse à New York, la systémique familiale va changer de configuration et nous nous interrogeons sur l’avenir de cet adolescent qui va quitter un nid parental quelque peu fusionnel.

Dans ce premier roman, Franck Fenestre nous donne à lire une histoire de cœur mâtinée d’une profondeur subtile, frôlant tantôt le surréalisme, tantôt l’absurde, dominée par une tendresse adorable entre les personnages.

Mon père m’avait fait naître ; lui était occupé à renaître. L’art était le ventre maternel qui le portait. Il m’avait fait naître et m’avait aussi fait « lui » : une seule aspérité dans sa voix, et je devinais les bosses dans son cœur. Je connaissais ses forces, ses faiblesses, ce qui l’assombrissait, ce qui lui rendait sa splendeur. Mon acquiescement toujours le consolait de ses bosses […] J’avais vécu suffisamment auprès de lui pour comprendre que l’art n’était pas une simple manière de s’exprimer, mais une nécessité d’être.

Cet univers insolite fait penser à celui du célèbre roman En attendant Bojangles, il nous pousse à nous questionner sur la normalité, le pouvoir transcendant de l’Art et les effets d’un tel héritage sur un adolescent. Un amour parental profond mais empreint de folie douce suffit-il à rendre un enfant équilibré et heureux ? C’est en lisant La fin des Trucmoches que vous trouverez une piste de réponse…

Séverine Radoux