BX, je t’aime

Bénédicte LOTOKO, Ça brille encore, Impressions nouvelles, coll. « For Intérieur », 2024, 214 p., 18 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 9782390701033

lotoko ca brille encoreLa temporalité : un été fiévreux, un juillet-août nerveux. Le lieu : Bruxelles, dans ses rues, ses espaces et ses endroits familiers, et dans des appartements aussi. La protagoniste : Clotilde, une quadra, métisse, aisée, lectrice compulsive. La situation initiale : un peu beaucoup paumée, Clotilde ne parvient pas à faire le deuil de son amour passé, Antoine, avec qui elle a été en couple un lustre. L’élément déclencheur : lors d’une soirée sur l’Allée du Kaai, où « la jeunesse alternative bronze entre deux taffes », elle croise un inconnu qui lui plaît : « Du regard langoureux à la couleur de la peau, du style décontracté à l’aisance altière, de sa jolie bouche à sa musculature que je devine. C’est lui que je veux, c’est lui que je n’aurai pas. » Si Clotilde n’étouffe pas sous l’optimisme, sa rencontre avec Tawfiq va pourtant rythmer ses prochaines semaines.

Ça brille encore, premier roman de Bénédicte Lotoko, frémit tout du long d’une grande agitation. Clotilde ne tient pas en place, sauf quand la morosité ou le désespoir l’accablent, et sillonne sa ville d’un quartier à l’autre, d’une personne à l’autre (avec qui elle parle, rit, jouit ou chez qui elle se réfugie, squatte, passe), sur son Innova, à pied ou en transports publics, tout en reparcourant son passé. Fille d’un père souffrant d’une maladie mentale et d’une mère qui a disparu de sa vie très tôt, elle n’a jamais vraiment trouvé sa place, Clotilde, ni dans sa famille ni vis-à-vis de la société. Elle cherche, cependant, depuis qu’elle est enfant, des indices, des explications, des issues, mais se heurte aux caisses vides, aux silences égarés et aux mensonges évasifs. Tout ce qu’elle arrive à construire et à stabiliser, ce sont des piles de bouquins dans la chambre de son logement : « Je ne sais plus quand ni pourquoi j’ai commencé à empiler mes livres. Au fil du temps, je les ai tous rassemblés dans l’endroit où je dors et mes performances en tsundoku se sont décuplées. » Fragments du discours amoureux de Roland (c’est son petit nom) lui résiste particulièrement…

Lotoko, par une écriture ferme et franche, insuffle électricité et pulsation à l’errance singulière d’une femme en souffrance contenue, sans lignes d’origines ni d’horizons claires. Au fil des pages, Clotilde interroge en effet son histoire, sa légitimité, son instabilité, ses envies, ses pulsions, ses manques, ses insécurités, tout en excès. Au-delà de ce portrait humain, Lotoko dépeint, en artiste pointilliste, BX, ville pour laquelle son amour (en vibrations et en connaissances) suinte de chaque micro-évocation. D’ailleurs, si son héroïne n’a que peu de certitudes, il y en a une qui lui est chevillée au corps : Bruxelles, c’est sa ville.« Laissez-la-moi, c’est mon unique sponsor. Née sans dossard, de parents inscrits à une autre courses, absorbés par leur épreuve, elle seule applaudit au bord de ma route. » Une lecture tonique, contemporaine et légèrement désabusée.

Samia Hammami