Adamek, Oxygène ou Les chemins de Mortmandie

Et que l’œil respire…

André-Marcel ADAMEK, Oxygène ou Les chemins de Mortmandie, Weyrich, coll. « Plumes du coq », 2012 

adamek oxygene ou les chemins de mortmandieQuiconque se targue de connaître les grands noms de littérature belge mais attend l’âge de quarante ans pour enfin découvrir André-Marcel Adamek fait figure d’hérétique – et le signataire de cette recension doit d’emblée confesser qu’il appartient à cette triste fratrie. Le rendez-vous est d’autant plus amèrement manqué que l’auteur du Fusil à pétales nous quittait il y a peu et, à l’instar de ceux de sa valeur, prématurément. Un mec pareil, que ne l’a-t-on découvert dès l’âge où entraient dans l’oreille les chansons de Ferré et de Brassens ? Quelle salutaire gifle cela aurait été, pour l’adolescent boudiné en quête de figures tutélaires qu’on était… Hélas, à l’époque, on baignait sans révolte dans un système scolaire où les profs préféraient servir du Bazin, du Mauriac, du Troyat, du Pagnol, du Froissard, bref des bouquins de format hexagonal déguisés en rectangles et qui, bien que neufs à l’achat, semblaient déjà jaunis à peine ouverts. Et le vif, le vivace, le vigoureux Adamek, on ne le lirait pas davantage par la suite à l’université, même si l’on s’aventurait en « romanes ». Pourtant, quel initiateur il aurait été, à cette « veine carnavalesque » qui irrigue depuis toujours nos lettres !

Le premier récit d’Adamek, diffusé au happy few en 1970, n’avait plus refait surface depuis lors, et c’est celui-là qui vient parachever une bibliographie riche d’une vingtaine de titres. On aime à se convaincre que le païen aux allures de sage ne pouvait pas ne pas accorder un peu de foi à l’idée d’éternel retour. Avec quelle élégance narquoise la boucle de son œuvre se trouve-t-elle ainsi bouclée…

L’histoire ? Trois hommes et une femme qui prennent, à pied, le chemin de la prison de Mortmandie, où ils connaissent chacun un détenu à qui rendre visite – autant dire : où ils ont un compte à régler avec la vie, le passé et la société. Toucheront-ils au but ? En tout cas, leur périple sera, sinon initiatique, du moins révélateur de leur être profond. Ils y croiseront des canailles buveuses d’absinthes pas trop difficiles à terrasser, des hôteliers dont la bonhommie rachète la viscérale filouterie, un sorcier doté d’un fameux grain, et surtout un anarchiste au charme magnétique.

Les protagonistes de cette quête existentielle traversent en outre une géographie fantasmagorique, qui fait parfois verser la narration dans un réalisme magique inattendu. Plutôt qu’en écrivain, c’est quasiment en imagier qu’Adamek développe son art, d’où l’impression récurrente pour le lecteur, au milieu d’une page empreinte de fraîcheur naïve, de se trouver au cœur de quelque bois gravé de Masereel.

Certes, il subsiste ici ou là de menues maladresses, des angles un peu grossièrement arrondis, des dialogues écrits dans un français trop châtié pour appartenir à l’échantillon d’humanité humble et simple mise en scène ; mais, ainsi qu’Aymé avait bien commencé en donnant Brûlebois, l’Adamek de 24 ans formulait déjà une très belle promesse. D’ailleurs, ce n’est pas lui chercher des excuses que de dire à quel point Oxygène diffère d’un roman stricto sensu. Nourri par un imaginaire singulier, qui ne sombre jamais dans un baroque débridé, ce rêve de papier se cantonne aux lisières de la conscience, entre somnambulisme et illumination. Il se lit en fait comme une fable délicieusement subversive, dont on sait (sans la deviner) que la pseudo-morale ira à rebours de toute volonté édifiante.

Si l’écriture d’Adamek s’accommode peu des sécheresses d’un certain réalisme ou des pulsions souvent cruelles, voire cyniques, du naturalisme, il est par contre un terme – aujourd’hui galvaudé – qu’il s’agirait de réhabiliter pour qualifier la soif tenaillant notre homme : l’authenticité. Exprimer, à travers ses espoirs, ses rêves, ses courages et ses pudeurs aussi, ce qui anime la volonté d’un être désireux d’atteindre son idéal de liberté, voilà ce que le prosateur semblait rechercher, en chasseur subtil. Ils sont rares, les écrivains qui, dès leur coup d’essai, livrent un héritage. Le croirez-vous maintenant, si l’on vous affirme que celui d’Adamek n’était en rien perdu ?

 Frédéric Saenen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°176 (2013)