Nicolas Ancion, La cravate de Simenon

Du pouvoir des choses et des mots

Nicolas ANCION, La cravate de Simenon, Didier, 2012

ancion la cravate de simenonLéopold a son secret pour réussir dans la vie. A chaque moment-clé, il noue autour de son cou une cravate de son père à laquelle il attribue des vertus bienfaisantes. Cette lanière de soie a appartenu à Simenon qui l’avait abandonnée dans les bureaux de la rédaction d’un quotidien liégeois alors qu’il prenait la route pour Paris. Léopold la subtilise régulièrement à son père et il constate au fil des années qu’ainsi paré, il a réussi ses examens universitaires,  décroché un emploi et même découvert sa vocation d’écrivain. Muni de ce talisman, il semble traverser la vie sous haute protection. Jusqu’au jour où son existence se fissure. Suite à une rupture, il constate qu’il ne peut tout faire. Ce moment coïncide avec celui où son père, grand fumeur de cigarettes fortes, déclare  un cancer. C’est l’occasion pour lui de se rapprocher d’une figure qui  l’a toujours fasciné. Du père-héros ordinaire, comptable dans une banque, il a retenu un sens aigu de l’humour, un don pour la mise en scène, le goût des belles voitures et de la lecture. Voici que dans la difficulté une complicité se renoue, avec son lot de confidences. Et il est question de la cravate de Simenon … Dans ce court roman de quelques dizaines de pages, Nicolas Ancion déploie son talent de conteur au service d’une fable qui plonge au cœur du rapport que l’écriture entretient avec la réalité. Son père, Simenon et lui-même ont en commun le plaisir d’inventer des histoires, de nourrir le rêve. De ces rêves, ils sont tout à la fois maître et objet, dans un mouvement qui puise au cœur des ressorts de la création. Cet ouvrage, rédigé avec un cahier des charges strict attentif aux personnes qui abordent le français comme langue étrangère, prouve, si besoin en était, que l’on peut écrire clair et simple sans renoncer à la complexité des choses.

Thierry Detienne


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°174 (2012)