Anniversaire : Maeterlinck

Maeterlinck au tournant du siècle

 Pour beaucoup, Maeterlinck passe pour un auteur du 19e siècle, alors qu’il est mort il y a juste cinquante ans. Les Éditions Complexe célèbrent cet anniversaire en republiant ses œuvres. La Maison du livre présente cet automne à Bruxelles l’exposition « Le tragique quotidien ou L’univers de Maeterlinck ». Nous avons composé pour la circonstance un petit dossier destiné à éclairer d’un jour neuf ou inattendu cet auteur qui connut de son temps un rayonnement incomparable et mérite une relecture.

Il y a chez l’auteur de Pelléas et Mélisande une personnalité refoulée de type paranoïaque qui l’apparente plus qu’on ne pense au Suédois August Strindberg.

Strindberg n’a jamais caché son admiration pour certaines œuvres de Maurice Maeterlinck et il a déclaré s’en être inspiré, un peu comme Proust a utilisé L’intelligence de fleurs [cf. Jean-Yves TADIÉ, Marcel Proust, Gallimard, coll. « Biographies Nrf », 1996], ce qui, en 1910, ne l’empêche pas d’être furieux, au point de se fâcher avec August Falck et sa troupe, quand le Théâtre Intime qu’il a fondé à Stockholm met L’intruse à son programme. Après tout, le poète belge, dont les pièces sont représentées eu Europe et aux États-Unis, et qui recevra de surcroit le prix Nobel en 1911, n’a pas besoin d’être joué dans son théâtre. Strindberg est prêt à rompre avec le monde entier. Ce n’est pas lui qui attendrait vingt ans pour se séparer d’une femme dont il se sentirait, à tort ou à raison, la « victime ». Sa vie psychique et sa production littéraire sont en phase constante. Pas lui non plus qui traiterait ses œuvres passées avec le dédain auquel Maeterlinck nous a habitués depuis sa mise en orbite par Mirbeau. Il est en accord avec ce qu’il dit, écrit et fait.

Ce n’est plus le cas de Maeterlinck, depuis Aglavaine et Sélysette. En 1895, Georgette Leblanc lui apporte une nouvelle source d’inspiration et un équilibre. Mais deux ans plus tard, la cantatrice-égérie se révolte contre l’hommage qu’il lui fait du personnage d’Aglavaine, prétendument son portrait, et surtout contre l’utilisation de ses lettres et de ses pensées abondamment citées, mais sans guillemets, et attribuées à des sources imaginaires, dans La sagesse et la destinée, au point qu’elle juge légitime de lui en réclamer la co-signature, ce qu’il refuse, lui accordant cependant une dédicace laudative. Elle renonce alors à une carrière d’écrivain pour ne pas le mettre en danger et sauver leur relation. En lui sacrifiant un talent littéraire, réel, qu’elle ne mettra plus en pratique qu’épisodiquement, elle gagne le droit d’exiger des rôles à sa mesure. Le poète va donc essayer de lui rendre justice à sa manière, lui donnant d’une main ce qu’il lui reprend de l’autre, et ainsi de suite, dans une conception de l’échange où il ne peut jamais être perdant, croit-il. Après l’imparfaite Aglavaine vont apparaitre chronologiquement Monna Vanna, Ariane, Joyzelle, La lumière, Marie-Magdeleine, Sonia (Le malheur passe, écrit après leur rupture !), qui doivent la totalité ou beaucoup de leur personnage à Georgette Leblanc. Admirables, elles évoluent dans des scènes où elles se dévouent, la plupart du temps, à sauver un homme plus faible qu’elles. L’homme courant un grand danger, ces femmes donnent des preuves d’amour irréfutables, elles sont des initiatrices et ont de si fortes personnalités qu’elles dominent la pièce de bout en bout. Les personnages masculins sont bien moins servis. Golaud, par exemple, n’a plus d’équivalent, dans aucune des pièces suivantes. Barbe-Bleue n’est qu’un pauvre sire, et il ne fait pas le poids devant Ariane.

Soucieux de créer les doubles de sa compagne-interprète, Maeterlinck, dirait-on, néglige, quand il ne les emprunte pas à d’autres, les arguments de ses œuvres. Il remplit son contrat, Georgette Leblanc le sien. En dépit de l’insuccès notoire de Joyzelle, du relatif échec de La mort d Tintagiles, la mise en scène des drames d’avant 1900 par Max Reinhardt et Stanislavski, Monna Vanna – grand succès européen – et L’oiseau bleu – triomphe mondial – en font un des grands auteurs de ce temps.

La posture du sage

Comme pendant littéraire des personnages qu’il lui offre au théâtre, ses lecteurs purent apprécier ceci, extrait de Double jardin :

C’est ainsi que l’honneur au sens chevaleresque et conjugal du terme (j’entends par ce terme l’honneur du mari qu’on fait dépendre d’une faute de la femme), la vengeance, une sorte de pudeur maladive, l’orgueil, la vanité, la piété envers certains dieux, mille autres illusions ont été et sont encore l’intarissable source d’une multitude de devoirs absolument sacrés […] pour un grand nombre de consciences inférieures […]. Et peut-être est-ce de la lutte de notre devoir contre notre ignorance et notre égoïsme que doit naitre le véritable drame de ce siècle. Une fois cette étape franchie dans la vie réelle comme sur la scène, il sera peut-être permis de parler d’un théâtre de paix et de beauté sans larmes.

Mais hélas ! comme la vie le prouvera sous peu, et ce ne sont que des phrases, et ça n’a rien à voir avec les sentiments réels de Maeterlinck. Il y a vraiment une distorsion entre son psychisme et sa production, distorsion qui l’a conduit à des créations où sa propre réalité s’inverse. Il avait en lui, jusqu’en 1895, de quoi devenir un des plus grands écrivains, non seulement de son temps, ce qu’il a été, mais aussi du nôtre et de l’avenir, ce qui est toujours le cas de Strindberg ou de Proust, par exemple. En piégeant Georgette Leblanc, il s’est cru habile, mais s’est surtout piégé lui-même. On ne peut pas construire une œuvre de longue durée en se mentant perpétuellement à soi-même. Strindberg s’est autoanalysé, a projeté ses phantasmes les plus violents dans ses pièces, a longuement confessé ses crises, Proust, transposant son microcosme mondain et homosexuel à un niveau supérieur, nous a légué un mythe romanesque aussi puissant que celui de Balzac, Maeterlinck s’est autocensuré à partir de Monna Vanna et s’est figé dans la posture du sage, influencé sans doute par cette pensée de Georgette Leblanc qu’il avait beaucoup admirée : « Le sage ne peut dire absolument qu’il souffre, parce qu’il domine sa vie. Il la juge à vol d’oiseau. S’il souffre aujourd’hui, c’est qu’il a tourné sa pensée vers la partie inachevée de son âme ».

Le plus étonnant, c’est le succès rencontré par les livres et les drames produits selon cette méthode particulière de refoulement. S’il n’est plus tellement en phase avec lui-même, sauf de manière négative, Maeterlinck parait l’être avec son époque, d’une façon confondante. Mais justement, la période artistique de 1900 à 1914 – époque de transition où notre modernité était en germes -, c’est le triomphe, dans ses succès et ses réalisations prestigieuses, du faux et du toc. Qu’on pense à la gloire, par exemple, de la poétesse Anna de Noailles, si admirée par Proust, mais illisible aujourd’hui, aux stars du théâtre, comme Sarah Bernhardt ou Edouard De Max, aux difficultés de Péguy ou Claudel, on comprendra ce que je veux dire. Avec Marie-Magdeleine, par exemple, le poète fait un retour remarqué au néoclassicisme, même si on retrouve dans cette pièce l’éternel dilemme maeterlinckien : une femme doit choisir entre deux hommes, elle doit se sacrifier d’une manière ou d’une autre pour en sauver un. Cette fois, Marie-Magdeleine, incarnée sur la scène du Châtelet par Georgette Leblanc est écartelée entre le tribun romain Lucius Vérus (interprété par son amant à la ville, l’acteur Roger Karl) et rien moins que le Christ qui n’apparait pas sur les planches, ce dont la critique loue l’auteur qui ne passe pas pour catholique. Il faut souligner qu’à travers ses nombreux avatars, l’œuvre théâtrale maeterlinckienne et particulièrement celle  dont les personnages féminins sont inspirés par Georgette Leblanc reproduit à l’identique la même  et étrange figure, à force d’être répétitive, d’une triade, centre dynamique de la pièce. On la retrouve aussi, pour dire à quel point elle le hante, dans un projet de roman, jamais réalisé, dont l’héroïne eût été une reine, femme du style de Georgette, comme il le précise.

Les usages bourgeois

Mais pour saisir vraiment le drame spécifique qui s’est joué entre elle et lui pendant près de vingt ans, et qui n’a pas eu lieu dans la vie de Strindberg, parce que celui-ci a su rester fidèle à sa propre voix intérieure au risque de tout perdre, y compris ses femmes successives, il faut en arriver à la séparation brutale entre les deux « rudes compagnons » que furent la cantatrice et le poète.

En se fondant sur les méditations olympiennes et détachées de Maeterlinck, elle n’aurait jamais dû avoir lieu, Georgette Leblanc ne lui cachant rien et lui s’autorisant tout, en pleine clarté. Dans Le double jardin encore, n’avait-il pas écrit : « La vertu purificatrice de l’aveu dépend de la qualité de l’âme qui le fait et de celle de l’âme qui l’accueille. L’équilibre établi, tous les aveux élèvent le niveau du bonheur et de l’amour » ? Et encore : « Si celui qui reçoit l’aveu ne peut s’élever jusqu’à nous aimer davantage pour cet aveu, il y malentendu dans notre amour. Ce n’est pas celui qui fait l’aveu qui doit rougir ; mais celui qui ne comprend pas encore que par le fait même que nous avons confessé un tort nous l’avons surmonté ». Phrases très engagées. Il eût fait parler un personnage de roman, passe encore ! Dans la mesure où il s’est aussi tristement contredit, le soupçon que le vrai Maeterlinck se cachait aux autres et à lui-même est légitime, et il devient une certitude quand on connait sa vie entre 1895 et 1920.

Les nobles phrases que je viens de citer et les hommages répétés à la force, la clairvoyance et l’authenticité de sa compagne sont balayés par l’épisode qui met un point final à l’existence de ce couple exceptionnel. Non mariés civilement et religieusement, Maeterlinck et Georgette Leblanc apparaissent cependant comme tels dans le Bottin mondain. Une vie très libre de part et d’autre, un contrat implicite où l’on ne s’interdit aucune liberté, ainsi que le montre leur correspondance privée. Des femmes comblant les absences de Georgette Leblanc à Grasse, puis à Nice, souvent d’ailleurs grâce à son entregent, l’arrivée puis l’installation à demeure de la jeune Renée Dahon, situation qui durera jusqu’en 1919, tout cela ne fait pas de Maeterlinck un classique mari trompé. Pourtant, c’est dans cette attitude qu’il va se draper pour chasser Georgette Leblanc et se marier bourgeoisement avec Renée Dahon. On doit donc croire, à la lumière de cet événement, que pendant toutes ces années d’union libre maquillée pour la galerie en mariage, il souffrit de l’intelligence et de la liberté de Georgette Leblanc et que « Bébé », comme elle le surnommait dans ses lettres, fut un homme dominé. Les phrases du Double jardin n’en résonnent que plus pathétiquement. Avant que le sage et éclairé Maeterlinck n’adopte ce genre sublime, l’archaïque et fol Strindberg, lui, n’avait pas honte de commenter ainsi le tableau de Munch, Jalousie : « Jalousie, saint sentiment de propreté de l’âme qui abhorre de se mêler avec une autre de même sexe par l’intermédiaire d’un autre. Jalousie, égoïsme légitime, issu de l’instinct du moi et de ma race ». Etc. Si ce n’était pas sympathique, cela avait au moins le mérite d’être franc. En tout cas, cette violence de sentiment ne mit jamais en danger l’unité de l’œuvre de Strindberg, au contraire. Son moi restait  indissoluble, en perpétuel procès contre le monde et lui-même, terrible machine de production.

Sans Georgette Leblanc, Maeterlinck eût sans doute beaucoup tardé à s’installer en France, à moins qu’il se fût résigné à suivre Laurence Alma-Tadema à Londres. Il eût peut-être alors connu le sort injuste de son ami Charles Van Lerberghe, mort dans l’oubli, et qui fut pourtant un grand poète, en tout cas un de ceux à qui Maeterlinck reconnaissait, suivant ses dires, la maitrise de son âme. Georgette était plus jeune que lui de sept ans et même prétendait en avoir encore cinq de moins. L’ainé prestigieux, le poète reconnu par Maeterlinck et joué par Lugné-Poe, c’était lui. Jeune femme, cantatrice, elle ne pouvait lui en imposer. Ce fut pourtant ce qui arriva jusqu’à un certain point, pour le meilleur et pour le pire, grâce au (ou à cause du) « génie » qu’il lui reconnaissait. Providentielle pour sa carrière bien ancrée dans leur époque, à ce qu’il dut lui sembler, on peut juste dire qu’il se fourvoya en ce qui concerne la suite, mais l’avenir est indéchiffrable ainsi qu’il lui arriva de le déplorer. N’oublions pas qu’il consulta des voyantes.

Ayant refermé à cinquante-six ans la parenthèse-Georgette Leblanc, sa « libération » ne lui donna pas autant de puissance qu’il avait dû l’espérer. Certes, il ne devait plus rien à une femme exceptionnelle d’intelligence et de sensibilité. Mais il ne parvint pas à renouveler sa manière. Le pli était pris. Sa tendance à l’expression d’un bonheur facile et d’une pensée vague persévéra. D’ailleurs, il n’avait à se plaindre de rien. Sa gloire mondiale ne faiblissait pas.

Cinquante ans après sa mort, on joue toujours la même poignée d’œuvres qu’avant 1895, comme si on avait décidé que ce poète n’était pas de notre siècle, lequel du reste va finir. Deux des meilleures pièces de la période 1900, Monna Vanna et L’oiseau bleu devraient être redécouvertes. Peut-être le seront-elles au siècle prochain ? Patience, nous y sommes presque.

Maxime Benoit-Jeannin

Maeterlinck a Catalunya

Rien n’illustre mieux le rayonnement international d’un auteur que les traductions qu’on donne de son œuvre. La Catalogne fut prompte à accueillir ce jeune écrivain francophone à la mode qu’était, à la fin du 19e siècle, Maurice Maeterlinck. Une promenade.

Quand on sort de la gare de Sitges, à une demi-heure de Barcelona, direction Gibraltar, deux cents mètres restent à parcourir pour trouver le théâtre « Prado », quasiment inchangé depuis un siècle. C’est là que le 10 septembre 1893 se célébra la seconde Festa Modernista organisée par Santiago Rusiñol. Une personnalité celui-là : peintre en rupture d’académisme (on lui doit le premier portrait connu d’Erik Satie, rencontré à Paris), littérature (un peu trop, peut-être), collectionneur et mécène avisé qui donna ses trésors et la bâtisse en front de mer où il résidait. Au Musée « Cau Ferrat », il faut voir l’endroit lui-même, et les céramiques, et les fers forgés, un superbe tableautin signé P. Ruiz Picasso, deux peintures du Greco, et une toile de Degouve de Nunques achetée lors du séjour de ce dernier à Palma de Mallorca.

Avec la venue d’une centaine de Barcelonais et Sitgetans recrutés pour la circonstance, le Prado fit salle comble. En première partie, de la musique – dont un quintet de César FrancK. Après l’entracte, discours de l’amphitryon puis représentation de L’intruse de Maeterlinck dans une traduction en catalan de Pompeu Fabra. On a décrit Pompeu Fabra comme un philologue-artiste. Ajoutons lexicographe, grammairien, champion en tout cas de la renaixença catalane, mouvement qui entendait donner à la langue du pays la place qui lui revenait après une longue période d’étouffoir, et de l’insérer dans une pulsion moderne aux caractéristiques propres, en l’occurrence surtout le fait de quelques architectes, qui ont de Barcelona une ville qui donne vertiges et torticolis.

En traduisant la pièce de Maeterlinck, Pompeu Fabra veut faire œuvre utile. Il s’agit de montrer que sa langue, loin de n’être qu’une mosaïque de dialectes, peut rendre une des productions les plus récentes d’un jeune écrivain francophone prometteur. Francophone mais septentrional comme beaucoup d’autres dont débattent les intellectuels au café Els Quatre Gats. Ibsen, Nietzsche, Wagner, Strindberg, Stirner sont les fers de lance de cette joute, où il s’est trouvé un certain A.L. de Baran pour souhaiter que Barcelona devienne « un centre artistique aussi puissant que l’a été, jusqu’à présent, dans le Nord, Bruxelles ».

Et Maeterlinck ? Il est connu pour les Serres chaudes, vient de publier Pelléas et Mélisande, et sa notoriété s’amplifie. Mais il est très conscient de l’enjeu de cette traduction et il conclut une lettre par : « Je joins à cette autorisation [de la traduction] tous mes vœux pour l’issue de la lutte que vous avez entreprise : heureux de trouver un instant avec vous du côté de la témérité et de l’indépendance ».

La témérité et l’indépendance sont d’ailleurs deux caractéristiques qui fondent l’intérêt de L’intruse. Avec cette pièce, Maeterlinck marque une rupture tant avec les rodomontades du romantisme à la française qu’avec le drame naturaliste, – sans parler du fardeau boulevardier.

L’intruse est un texte sans fioriture aucune, qui donne à voir une action réduite à sa plus simple expression : une famille reçoit la visite de la Camarde, et le noir se fait, inéluctable.

Soit dit en passant, Maeterlinck pourrait être considéré ici comme un précurseur étonnant du théâtre qui tiendra le haut du pavé par la suite. Quelques décennies plus tard, L’intruse aurait pu s’appeler En attendant l’intruse.

Pour le moins peut-on conjecturer que le thème (sous-entendu ou supposé connu) de la mort du dieu des catholiques eut in impact sulfureux à Sitges. Maeterlinck fut cependant encore traduit en catalan, notamment les Quinze chansons. Le rayonnement de l’écrivain gantois en Espagne est suffisamment important pour avoir fait, à l’Université de Madrid, l’objet d’une thèse.

Prix Nobel en 1911, Maurice Maeterlinck se vit attribuer l’année suivante par un de ses détracteurs, Monsieur Paul Halflants, « un beau diplôme » pour « l’aisance avec laquelle les solutions données par la religion sont exécutées ».

Son influence sur Apollinaire, sur les jeunes poètes qui firent le surréalisme – sur Michaux aussi – est connue. Mains on ne peut pas dire que ses livres courent les rues, et sa poésie est franchement négligée, au point d’apparaitre dans une Anthologie des poètes délaissés.

Serait-ce que certaines de ses pages mériteraient « d’être inscrites en lettres d’or dans le catéchisme de l’anarchiste » ?

Voici qui, de la côte méditerranéenne à Bruxelles, avec un détour obligé par Paris, laisse songeur. Et puis quoi, c’est en songeant qu’on devient songe rond.

Daniel Meyer

Apollinaire et Maeterlinck

Deux de ses proches l’attestent, Apollinaire a été très impressionné par la lecture de Serres chaudes, ce sont Jean Cocteau et André Salmon. Les archives du Musée Apollinaire de Stavelot conservent un tapuscrit – texte d’un exposé ou brouillon d’article ? – intitulé « Maeterlinck et Apollinaire », sept pages criblées d’annotations manuscrites mais sans nom d’auteur.

À partir de son analyse du poème « La clef » et des reprises postérieures de quelques vers, cet anonyme distingué montre comment Apollinaire a reçu, utilisé puis dépassé certaines influences de Maeterlinck, à savoir le procédé des « personnages non désignés ».

Il y a, tout bien pesé, quelque chose de normal là-dedans. Et puis, si besoin est, il y a que les spécialistes trancheront. Car c’est dans les tranchées que l’on tranche rond.

Daniel Meyer

 

Quinze cançons

De cette édition des Quinze chansons en catalan, seule la couverture à ce jour nous est personnellement connue. Mais elle a de quoi retenir l’attention, car sous le pseudonyme d’OCtavi de Romeu se cache le jeune Eugeni d’Ors, personnage haut en couleurs, si le noir les contient toutes. Étudiant à Paris, puis à Bruxelles (on peut supposer qu’il y a vu des œuvres d’Audrey Beardsley, par exemple), Eugeni d’Ors a fait ce dessin qui relève de l’esthétique moderniste.

Puis d’Ors, sous le nom de Xénius (génie, excusez du peu), se fit le héraut du mouvement noucentiste, mélange de nationalisme et de réaction académique dont les effets toxiques se font encore sentir. Il a écrit un beau livre, Océanographie de l’ennui et s’est fait connaitre pour des ouvrages d’histoire de l’art. Malheureusement, il n’en est pas resté là. D’une idéologie trempée dans la soupe sûrie de Muarras et de Mussolini, il est devenu, en toute logique, un des fleurons de la garde prétorienne du Furhoncle (ainsi Mandiargue désignait-il Franco).

À Madrid, il eut en charge les questions d’éducation nationale dans une Espagne occupée par les militaires et les curés. On peut le tenir responsable de la savante organisation de l’ignorance qui est le sceau de tout régime totalitaire, sachant que se taire est le mot d’ordre de cette ère.

Daniel Meyer


Articles parus dans Le Carnet et les Instants n°109 (1999)