Jean et Jacqueline Plisnier-Hoffman, fils et belle-fille de Charles Plisnier, ont récemment décidé de céder au Musée royal de Mariemeont les archives de l’auteur de Faux passeports. Un fonds Plisnier est désormais accessible aux chercheurs intéressés. Il rejoint, dans la Réserve précieuse de la Bibliothèque de Mariemont, le fonds Charles et Colette Bertin constitué il y a quelques années, ainsi que d’autres fonds bibliophiliques plus anciens. Durant tout l’été, une importante exposition, élaborée à partir d’une centaine de pièces majeures du fonds Plisnier, retracera le parcours d’un auteur qui ne fut pas seulement notre premier Prix Goncourt, mais qui fut aussi un homme pleinement engagé dans tous les combats idéologiques de son époque.
En 1999, Charles et Colette Bertin avaient décidé de léguer au Musée royal de Mariemont leur collection bibliophilique. Plus qu’une bibliothèque de l’honnête homme, il s’agissait là d’un ensemble véritablement précieux, de très haute tenue, à la fois par la qualité littéraire des œuvres données, mais également par la beauté des reliures et par le prestige des nombreuses dédicaces d’auteurs. Rares en effet sont les amateurs de livres et de littérature qui pourraient s’enorgueillir de posséder un des 500 exemplaires de l’édition originale d’Une saison en enfer de Rimbaud, un exemplaire dédicacé du Rivage des Syrtes, de La presqu’île et d’Un balcon en forêt de Juline Gracq, des ouvrages dédicacés de Plisnier, de Giono, de Colette, de Norge, de Julien Green, de Marcel Thiry, de Marguerite Yourcenar, de Susanne Lilar etc., ainsi que quantité de manuscrits et d’autographes d’auteurs qui ont compté au siècle dernier. En outre, le fonds Bertin combla un manque pour le Musée royal de Mariemont, puisque, en littérature, les collections de Raoul Warocqué s’arrêtaient généralement au dix-neuvième siècle.
Voulant confier à une institution culturelle les archives de Charles Plisnier, son fils et sa belle-fille ont assez naturellement suivi l’exemple de leur… cousin – puisque, est-il besoin de le rappeler, Charles Bertin était le neveu, le filleul et, selon la dédicace, le « fils spirituel » du poète de Déluge – et ils ont choisi de léguer les nombreuses chemises contenant les documents de l’écrivain au Musée royal de Mariemont.
Des documents émouvants
L’exposition Un écrivain militant : Plisnier, a été élaborée sur les conseils de Paul Aron, professeur de littérature à l’Université libre de Bruxelles. Elle s’appuie sur un travail d’inventaire et sur un choix opéré par Annemie Esgain, romaniste de l’ULB, qui a rédigé une première version du catalogue. L’inventaire fut terminé par Marie Moreau, tandis qu’Isabelle Bourleau, historienne de l’art, a planifié la distribution des documents et des œuvres dans les espaces d’exposition et a mis au point la version définitive du catalogue – préface par Pierre-Jean Foulon, conservateur des Livres précieux du Musée royal de Mariemont.
Si elle se veut informative, l’exposition fait néanmoins la part belle à des documents particulièrement émouvants, tant ils montrent un Plisnier continuellement aux prises avec les tourments de son siècle et tant ils laissent entrevoir la place essentielle occupée par l’écrivain dans la littérature de son temps – place que, pour être honnête, nous avons parfois un peu de mal à imaginer aujourd’hui. Certains témoignages sont certes connus, mais il ne sera pas anodin de les avoir sous les yeux. Ainsi, par exemple, de la lettre d’encouragement d’Émile Verhaeren, envoyée de Roisin le 31 mars 1913, où le poète internationalement reconnu félicite Plisnier pour L’enfant qui fut déçu : « J’espère en vous comme en une force neuve ». Ainsi, de la lettre lui annonçant officiellement qu’il est le lauréat du prix Goncourt 1937, vraisemblablement écrite par Léo Larguier et signée par tous les membres du jury. Ainsi, de diverses photos qui mettent en lumière les activités de Plisnier comme avocat engagé, notamment au procès dit du « complot communiste » en 1923 ou lors de manifestations en faveur de Sacco et Vanzetti en 1927. D’autres pièces sont moins célèbres. En 1929, alors qu’il va – ou vient de – quitter le Communisme, Charles Plisnier envoie une longue lettre à André Breton, où il explicite « l’antinomie » qui s’établit, selon lui, entre la création poétique et l’action politique : « Cette révolution, nous ne devons pas nous y donner comme poètes, mais comme soldats. En attendant, nous devons consentir à l’antinomie […]. D’ailleurs la publication ne me parait pas un attribut essentiel de la création ». Dans une lettre écrite de Norvège, dans un français impeccable, le 25 janvier 1936, Léon Trotski remercie Plisnier pour l’envoi de Babel, libre qui lui est d’ailleurs dédié. Les post-scriptum prouvent que la missive n’était pas de pure forme et que Trotski fut un lecteur attentif de Plisnier. Effectivement, il reprend le poète sur une attitude de Lénine, décrite dans Babel (« vous frappiez sur le ventre des camarades ») et qui serait inexacte, et il corrige le nom de la femme de Lénine de Natalia en Nadejola Konstantinova.
Parmi les documents qui sont exposés, j’épinglerai encore le manuscrit autographe de Droit et avoir, qui est la première version de Mariages, rédigée par Plisnier entre le 20 mai et le 2 décembre 1932. On y découvre l’écrivain au travail, sa fine écriture, presque illisible, qui a couru sur le papier pelure, ses ratures, ses corrections, ses ajouts. On y devine, sinon sa fièvre créatrice, du moins cette énergie extraordinaire qui lui permit de produire trois romans-fleuves en seulement deux décennies – en plus des romans isolés, des nouvelles, des poèmes, et des innombrables interventions dans la presse et dans des revues.
Films et poèmes
En dépit de la richesse des documents proposés, une exposition consacrée à un écrivain ou à un thème littéraire ne s’avère pas forcément très spectaculaire. La présente exposition s’accompagnera toutefois de diverses manifestations. Lors du vernissage du 8 juillet 2005, le comédien Jacques De Bock dira Déluge, poème qui en son temps fut interprété par Madeleine Renaud et sa troupe des « Renaudins ». Ce sera l’occasion de (re)découvrir la puissance lyrique des grands textes poétiques de Plisnier. Une place sera aussi accordée aux adaptations télévisuelles de certaines œuvres narratives. Mariages avait été réalisé pour la RTB en 1977, par Teff Erhat. Ses quatre parties seront projetées en deux séances les dimanches 7 et 21 août 2005, dès 15 heures. La nouvelle Une voix d’or, qui fait partie du recueil Figures détruites, avait été adaptée en 1962 pour la télévision par Charles Bertin, dans le cadre de manifestations organisées à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Plisnier. Le téléfilm, réalisé par Louis Verlant, sera projeté le 3 septembre à 15 heures. En clôture de l’exposition, le 18 septembre à 10h30, Paul Aron prononcera une conférence intitulée Charles Plisnier, ou la passion des lettres.
Évidemment, l’histoire du fonds Plisnier ne s’arrêtera pas avec cette exposition. Tout chercheur peut (en prenant rendez-vous) venir se plonger dans les innombrables dossiers qui le constituent, et s’attacher à l’étude de poèmes dramatiques de jeunesse, de fiches de lectures personnelles, de coupures de presse, de lettres etc. Signalons enfin que l’inventaire des archives sera bientôt accessible sur internet.
Laurent Robert
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°138 (2005)