Un fonds Marcel Thiry à la bibliothèque Chiroux-Croisiers

marcel thiry

Marcel Thiry

Depuis quelque temps, on reparle de Marcel Thiry. Il y a une convergence d’intentions qui le font sortir du purgatoire où l’avait plongé sa mort en 1977. D’abord la remarquable biographie de Charles Bertin, les œuvres poétiques en trois volumes, les souvenirs de Lise Thiry Marcopolette et très récemment un choix de ses poèmes. Pour couronner le tout, un nouveau prix littéraire porte son nom à Liège, alors que la Ville a recueilli un important fonds d’archives, que présente ici Robert Gérard, bibliothécaire dirigeant.

Cela ne trompe pas. Il y a plus qu’un frémissement, plus qu’une rencontre passagère sous le sceau de l’amitié. La reconnaissance enfin d’un talent parmi les plus sûrs de la littérature française de Belgique. La redécouverte d’une œuvre magistrale.

Ce changement va devenir encore plus manifeste maintenant que les livres, les archives de Thiry ont fait l’objet d’une donation à la bibliothèque des Chiroux-Croisiers de Liège. À la base, on trouve Lise et Jean-Pierre Thiry qui ont voulu que Liège, ville chère au cœur de leur père, soit la dépositaire de la mémoire thiryenne, le lieu de passage obligé des études s’y rapportant.

Cette donation qui a eu lieu fin 1999, a trouvé aux Chiroux un endroit d’accueil d’autant plus favorable que cette bibliothèque a toujours veillé à enrichir son patrimoine au fil du temps. Aussi la salle Ulysse Capitaine, qui gère les collections patrimoniales, doit sa réputation à des fonds tels que Capitaine (livres liégeois anciens), Dejardin (cartes et plans), Dupont (théâtre ancien)… Depuis quelques années, ce sont des dons littéraires qui y ont été déposés. Dons d’importance moyenne transformés en fonds spécialisés au fur et à mesure de leur traitement (Fonds Gérardy, Linze, Mochel, Colleye, Joset…). Parmi ces fonds, la place prise par le don Thiry est la première, vu son importance et sa qualité. Il est peu de dire que la réception et la découverte d’un tel don fut en soi une aventure car il fallut trouver très rapidement une place dans les locaux de la bibliothèque pour plus de 10.000 livres, plus de 15.000 documents ainsi que pour des meubles et des objets de toutes sortes. Il s’agissait en fait du don de Jean-Pierre Thiry venant de sa maison de Baux-sous-Chèvremont. Par la suite, Lise Thiry allait amener ses boites d’archives dans lesquelles se trouvaient les documents les plus précieux.

À cette fin, dans le but de ne pas garder indéfiniment en dépôt cet ensemble, il a été décidé de le déposer, du moins la partie la plus rare, dans un endroit adéquat pour la consultation et la conservation. Ce fut le bureau central de la salle Capitaine. Il y avait là tous les ingrédients pour créer un cabinet littéraire mais ce projet n’a pas encore été mené à bien. La disposition des livres et des archives dans ce local allait donner une vision exacte des différentes parties du don et de la façon d’en concevoir le traitement. On a regroupé d’une part les œuvres de Marcel Thiry et leur critique ; d’autre part les bibliothèques d’œuvres poétiques (recueils dédicacés) et d’œuvres romanesques (romans, nouvelles d’auteurs belges avec dédicaces) ; enfin, les archives (œuvres de Thiry – manuscrits, documents divers ; archives littéraires ; correspondance ; archives politiques ; archives privées – documents relatifs à son commerce de bois – et enfin photographies, médailles, diplômes, divers…) ; ainsi que la « bibliothèques générale » de l’écrivain.

Les œuvres de Marcel Thiry

Classées chronologiquement, elles permettent d’avoir une vue d’ensemble de la production thiryenne car y trouvent également place les tirés à part, les anthologies. Ce classement permet de suivre presque à la trace l’ordre de publication des principaux textes. On constatera pourtant l’absence de Toi qui pâlis au nom de Vancouver dont le tirage fut confidentiel (160 exemplaires), la présence de nombreux exemplaires invendus de Marchands ainsi que Hitler n’est pas jeune. Publié en 1940, ce texte a échappé miraculeusement à la destruction en ayant été caché dans une cave pendant la guerre.

L’un ou l’autre bel exemplaire dont Ages sur papier chiffon dédié à May. On le sait, Marcel Thiry avait l’habitude d’apporter des corrections à ses textes, même publiés, au grand dam d’Alexis Curvers qui considérait cela comme une hérésie. L’exemplaire de Poésie 1924-1957 en est truffé.

En ce qui concerne la critique, nous avons également opté pour un classement chronologique. On y trouve de très nombreuses coupures de presse rassemblées par Thiry ainsi que des articles, des livres bien connus, des mémoires inédits dont L’essai sur l’œuvre en prose de Marcel Thiry, de Christian Hubin et celui d’Hadelin Trinon Les fictions en prose de Marcel Thiry.

Les bibliothèques d’œuvres poétiques et romanesques

Ces livres – il y en a environ 3.000 – se trouvaient à Vaux à proximité du bureau de Thiry. C’est dire l’importance qu’il leur accordait. La plupart sont dédicacés. Mais ce qui frappe, de prime abord, c’est la place accordée à Apollinaire. Outre de nombreux textes de cet auteur, Marcel Thiry possède l’édition originale de L’antitradition futuriste et un quatrain écrit de sa main. Il s’agit d’une variante d’un poème d’Il y a.

Ses amis poètes sont bien sûr en bonne place : George Adam, Charles Bertin, Alain Bosquet, Maurice Carême, Jean Cassou, Achille Chavée, Paul Dresse, Pierre Emmanuel, Robert Goffin, Hubert Juin, Géo Libbrecht, Norge, Francis Ponge, Noël Ruet, Robert Vivier… À remarquer aussi le second tirage d’Exil de Saint-John Perse publié en 1942 à Buenos Aires ainsi qu’une édition de Monsieur Teste dédicacée par Paul Valéry « En souvenir d’un charmant déjeuner et surtout, de Paul Valéry ». Sont aussi présents des poètes plus jeunes : Christian Hubin, Jacques Izoard, Jean-Claude Pirotte, André Schmitz. Terminons par Les charités d’Alcippe de Marguerite Yourcenar, texte édité par Alexis Curvers à La flûte enchantée et corrigé de la main de l’auteur.

Quant aux œuvres romanesques, il n’y a rien de spécial à signaler à l’exception des dédicaces qui ornent les ouvrages.

Les archives

Ce domaine est complexe tant Marcel Thiry a beaucoup écrit. De plus, il fut un homme de référence très sollicité. S’il est encore aisé sur le plan littéraire d’adopter un classement rigoureux : les manuscrits de ses propres œuvres, ses multiples brouillons pour les publications de revue, ses discours, sa correspondance… sur le plan politique, cela parait plus difficile tant il fut actif à divers niveaux de pouvoir qui ont des liens entre eux.

Que dire de ses archives privées relatives à son commerce… C’est pourquoi, dans un premier temps, il nous a semblé nécessaire, en respectant les différents classements de Thiry, de bien séparer le littéraire, du politique et du privé. Un premier classement fait ainsi une place aux œuvres littéraires et à la documentation qui s’y rapporte (Ages, Anabase platane, Comme si, Nouvelles du grand possible…).

On peut aussi suivre l’élaboration de nombreux recueils à travers les carnets en toile grise qu’affectionnait Thiry. Parmi les plus précieux, il y a ces Pétales d’âme, écrits entre 1911 et 1914, l’important manuscrit de Statue de la fatigue et des carnets de Russie.

La correspondance, elle, est considérable et ne manquera pas de susciter le plus vif intérêt chez les érudits quand elle sera connue. Elle est à caractère littéraire, politique et privé.

C’est la partie littérature qui retiendra ici. Disons tout de suite que Thiry a gardé de nombreux brouillons de ses lettres, ce qui en facilite grandement la lecture. Sans entrer dans les détails, signalons en particulier parmi ses correspondants, la présence de Paul Eluard qui écrivit à Marcel Thiry en 1945 « … vous savez que j’ai pour tous vos poèmes une admiration que rien, jamais, ne pourrai affaiblir », d’Alain Bosquet : « L’essai de Roger Bodart me procure de la joie ; il sera enfin possible à maint critique… de se pencher sérieusement sur quarante années de votre activité poétique. Ce sera un événement », d’Yves Bonnefoy (il lui dit qu’il admire ses poèmes depuis longtemps) « ma découverte de vous, l’a été, par hasard, Plongeantes proues », de Roger Caillois (celui-ci a donné à Thiry le goût des pierres qu’il a lui-même collectionnées), de Jean Cocteau (il lui parle de Maeterlinck), de Jules Supervielle (il se plaint de sa santé : « Les hôtels sont-ils chauffés à Liège ? » lui demande-t-il), de Marguerite Yourcenar. Quelques extraits d’une longue lettre du 24 décembre 1971 : « … et aussi d’un certain nombre d’incidents parfois pénibles (l’un d’eux, dont l’amateur d’animaux que vous êtes comprendra que le mot pénible est trop faible pour le définir, est la mort de l’épagneule Valentine, tuée sur le coup par une automobile…) », « j’écris en effet un long ouvrage, mi-histoire familiale ou histoire tout court, mi-mémoires indirects, mais parfois composés sur le ton de l’évocation romanesque, « Souvenirs pieux » (pas toujours si pieux), qui concernent ma mère et ses ascendants ».

Ce sont des exemples parmi d’autres, mais la plupart des lettres viennent de Belgique où prédominent surtout les amis et amies de toujours : Charles Bertin, Alexis Curvers, Marie Delcourt, Fernand Desonay, Paul Dresse, Marie Gevers, Robert Vivier… Il est à signaler que cette correspondance a été traitée matériellement et qu’elle peut être consultée.

La bibliothèque générale

Des différentes bibliothèques qui se trouvaient dans la maison de Vaux, il a été constitué un ensemble que, à défaut de mieux, on a appelé « Bibliothèque générale » et qui est à l’image de la personnalité de Thiry, littéraire et historique.

Place de la littérature française et de ses grands classiques, de la littérature allemande et anglaise. Goethe, Shakespeare, Marlowe sont bien là ainsi que l’auteur qui l’a passionné longtemps : H.G. Wells. Place de la littérature fantastique et de la collection Marabout. Place de l’histoire, surtout la seconde guerre mondiale, de Napoléon et de la bataille de Waterloo.

Les revues sont aussi bien présentes. Une curiosité : les six premiers numéros de Le surréalisme au service de la révolution. Mais cette bibliothèque n’a pas encore été explorée attentivement. C’est une tâche qui sera prochainement menée à bien.

Voilà un aperçu d’un fonds exceptionnel qui, dans son analyse, demandera du temps. Déjà, quatre étudiantes sont à la tâche. Elles inventorient la bibliothèque poétique et romanesque ainsi qu’une partie de la correspondance.

Monsieur Théo Pirard, licencié en philologie romane, qui a bien connu Marcel Thiry, est plongé dans les archives et les examine, pour ainsi dire, à la loupe. Un inventaire est en cours de rédaction. Ainsi un grand mouvement s’est créé autour de ce fonds et l’intérêt qu’il suscite déjà est à la mesure des trésors qu’il recèle.

Ajoutons que la Ville de Liège, soucieux d’honorer la mémoire du poète, a créé un prix littéraire portant son nom. Ce prix sera annuel et récompensera alternativement une œuvre poétique et une œuvre romanesque. Le montant du prix est de 100.000 francs. Déjà la première édition a eu lieu. Elle a connu un vif succès avec plus de 80 participants. Le lauréat est William Cliff pour son recueil L’état belge, publié aux éditions de la Table ronde.

La volonté des organisateurs est d’étendre le prix à la francophonie. Et déjà se profile la deuxième édition, qui sera consacrée aux romans, aux contes et aux nouvelles.

Il nous reste à remercier les généreux donateurs Lise et Jean-Pierre Thiry qui, par ce geste, ont ainsi fait échec au temps en pérennisant l’œuvre de leur père. Un mot aussi pour Charles Bertin, un des amis les plus proches de Thiry, qui nous a toujours accordé sa bienveillante attention et dont l’intention est de nous léguer les documents qu’il possède encore sur Marcel Thiry.

Charles BERTIN, Marcel Thiry, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1997
Lise THIRY, Marcopolette, Les Éperonniers, 1999
Marcel THIRY, Œuvres poétiques complètes, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1997
Marcel THIRY, Traversées, Labor, coll. « Espace Nord », 2001

Robert Gérard


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°117 (2001)