Claire Lejeune, une voix pourpre

Elle voulait habiter la flamme

Danielle BAJOMÉE, Martine RENOUPREZ, Claire Lejeune, une voix pourpre, Renaissance du livre, 2012

bajomee renouprez claire lejeune une voix pourpreVivre en danger permanent”, tel fut le vœu de Claire Lejeune dès qu’elle s’est révélée à elle-même et à l’écriture, en une sorte de séisme provoqué qu’elle prolongerait jusqu’à l’incandescence dans sa pensée, dans ses écrits, dans ses spires ou ses photos solarisées. Elle a modifié les rapports entre le quotidien et l’absolu, entre la poésie et la philosophie, accordant l’une et l’autre à sa voix. Une voix pourpre, c’est ainsi que René Char salué son entrée en poésie. C’est aujourd’hui le titre que Danielle Bajomée et Martine Renouprez ont choisi de donner à leur étude, désormais de référence, sur Claire. Titre approprié pour évoquer la femme, la poète, la philosophe, cette artiste polyvalente et originale.

La première, critique attentive de l’œuvre depuis longtemps, collaboratrice de la revue Les cahiers internationaux de symbolisme, la professeure honoraire de l’Université de Liège, Danielle Bajomée a été et demeure familière de la vie et du parcours créatif de l’auteure. Martine Renouprez, professeure de langue et de littérature françaises à l’Université de Cadix, est non seulement spécialiste en matière de lettres belges, mais surtout, elle a soutenu une thèse sur Claire Lejeune, dont elle a tiré un fort volume, véritable somme  dont la consultation est indispensable à tout étudiant, chercheur ou simple amateur en ce domaine [Claire Lejeune, la poésie est en avant, Avin, éditions Luce Wilquin, 2005].

Claire Lejeune, une voix pourpre est donc le nouvel outil d’information sur la personne, l’œuvre et la carrière de l’auteure. Le livre retrace les différentes phases du parcours de celle qui se disait “autodidacte”. Il est vrai que, quels que soient les domaines où elle a créé, rien ne rappelle une école, un modèle, ni même ne dénote une influence reconnaissable. La poète est certes en grande intimité avec toute lyrique sauvage, dès le moment où elle s’affranchit de sa vie antérieure et libère une parole insoupçonnée jusqu’alors. Après de premiers feux tout poétiques – La Geste, Mémoire de rien, entre autres – elle se tourne vers la réflexion critique et choisit plus volontiers de s’exprimer dans des essais : conférences, articles, et bientôt volumes dont l’écriture ne s’éloignera jamais totalement du poème. Mais dans des œuvres comme L’Atelier, première du genre (1979), L’Œil de la lettre, Court-circuit, âge poétique, âge politique, elle s’est donné un nouvel objectif, intellectuel d’une part, car du concret observé, elle veut toujours s’élever vers l’abstraction, d’autre part pragmatique, la communication étant le prolongement nécessaire. Tout écrit tend alors à devenir politique et se double d’un effet militant : animer des conférences, réunir des tables rondes, créer des lieux de rencontre réelle, écrite ou virtuelle, comme ces Cahiers déjà cités ou la revue Réseaux, quand elle ne les trouve pas à sa portée.  Le Livre de la sœur ou La Lettre d’amour indiquent qu’elle n’en renonce pas pour autant au texte littéraire. De même et dans une démarche plus extravertie, le passage à l’écriture théâtrale lui ouvre un nouveau champ tant à la réflexion morale qu’à la parole poétique.

L’originalité du présent ouvrage invite à une lecture actualisée de l’œuvre de Lejeune et a le mérite d’en présenter une synthèse extrêmement vivante. Le volume est richement illustré de documents pour la plupart inédits – photos personnelles, familiales, lettres d’écrivains, mais aussi des témoignages professionnels, de théâtre par exemple. D’autres pièces plus émouvantes comme la reproduction de lettres importantes de ses correspondants, écrivains, poètes ou philosophes, de ses propres écrits et des assemblages de ses œuvres iconographiques, dessins ou photographismes. Si le discours des deux rédactrices est scientifiquement fondé et rigoureux, il vibre aussi d’une volonté passionnée de partager un attachement évident à leur objet. Il faut souligner aussi que ce livre a accompagné et prolongera sans nul doute la remarquable exposition présentée à la salle Saint-Georges à Mons, du 13 octobre 2012 au 13 janvier 2013, dont les deux auteures ont été les commissaires.

Jeannine Paque


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°175 (2013)