Quand on téléphone à la Cartoucherie pour obtenir une interview d’Ariane Mnouchkine, le nom de Bauchau est un sésame : « Ariane est très occupée par le montage du film qu’Arte a fait sur le travail du Soleil, la première a lieu le 24 février, mais pour Henry, elle trouvera un moment, il n’y a pas de doute ». Et quand on rappelle la fondatrice du Théâtre du Soleil au jour fixé pour l’entretien, d’emblée c’est en amie qu’elle s’exprime.
Ariane Mnouchkine : Quand j’ai rencontré Henry, j’étais adolescente. La rencontre a été déterminante. Si je ne l’avais pas connu, aurais-je même fait du théâtre ? On pourrait presque dire qu’il m’a sauvée. Pas par la psychanalyse, il n’était pas psychanalyste à l’époque, mais par son regard, sa confiance, par l’intérêt qu’il m’a témoigné, par les rencontres qu’il m’a amenée à faire. Henry est quelqu’un qui a « sauvé » beaucoup de gens, de jeunes surtout, par l’intérêt qu’il leur a porté.
Le Carnet et les Instants : Vous l’avez connu à son école de Gstaad ?
Ma sœur était dans son école. C’est ainsi que j’ai connu Henry et Laure, sa femme. Mes parents et eux sont devenus très amis et Henry s’est occupé de moi. C’est un homme qui est bon et qui bonifie les gens à qui il dit : « Vous êtes intéressant, vous êtes capable. » Quand on est adolescent, c’est décisif. Il est une des quelques personnes qui m’a mise au monde.
À lire les pages de son Journal où il parle de vous, on sent qu’il éprouve pour vous une grande amitié, ainsi qu’un intérêt constant pour votre travail.
L’amitié est venue de la relation que nous avions. Bien sûr, je suis heureuse et fière qu’il apprécie aussi mon travail. Mais c’est la continuation du regard fertile qu’il a sur les gens.
Outre l’amitié, vous avez eu aussi des relations de travail avec lui. Vous avez été la première à monter Gengis Khan.
En revenant d’Oxford, j’avais créé l’association théâtrale des étudiants de Paris ? Il existait peu de choses en France dans le domaine du théâtre universitaire, alors qu’en Angleterre, j’en avais connu beaucoup. J’ai demandé à Henry si je pouvais monter Gengis Khan. C’était ma première mise en scène : il aurait pu me refuser sa pièce, la réserver à un théâtre professionnel plutôt qu’aux amateurs que nous étions. Mais il a accepté, il nous a fait confiance.
Rétrospectivement, on se dit que le choix de cette pièce n’était pas seulement circonstanciel, puisque vous êtes restée fidèle à cet esprit épique qu’on trouve dans Gengis Khan.
Oui, ça correspondait à une ligne qui s’est affermie par la suite. Mais à l’époque, c’était pour Henry sa pièce de jeunesse – une jeunesse qui correspondait bien à la nôtre.
Qu’aimez-vous dans son écriture ?
Beaucoup de gens ont écrit des études très fines à son propos. Je n’ai pas envie d’être amenée à dire des banalités. Je préfère que nous en restions au plan des relations humaines. Henry est un être très précieux pour moi, en tant qu’écrivain et que poète bien sûr, mais aussi en tant qu’être humain rare.
Carmelo Virone
Dossier paru dans Le Carnet et les Instants n°97 (1997)