Un poète toujours vert
Béatrice WORTHING, Emile Verhaeren. 1855-1916, Mercure de France, 1992, 360 p.
Ce qui trappe avant tout dans la biographie de Verhaeren. c’est l’infaillible jeunesse de cœur et d’esprit de cet homme fougueux. Parce qu’il avait le « culte de l’enthousiasme -. il savait appréhender le monde et même parfois le devancer. Da Saint-Amand. où il naît en 18S5. à Louvain où il étudie le droit, sa vie est celle d’un bourgeois flamand de culture française. Passionné de poésie, il est. avec ses camarades Iwan Gilkin. Albert Giraud et Max Waller. à l’origine de La jeune Belgique qui marquera l’essor de la littérature belge. Mais une grave crise psychologique, la perte de la foi. et adieu la désinvolture. Sur le conseil d’Edmond Picard, il se consacre désormais à la littérature. Commence alors une vie ponctuée de voyages et de rencontres, celles d’artistes — que son activité de critique l’amène à fréquenter —. d’écrivains, d’intellectuels. Beaucoup deviendront ses amis : Théo Van Rysselberghe, Ensor. Seurat. Gicle ou Zweig et tant d’autres. Face au mariage, il hésite longuement. Mais il vivra avec Marthe une tendresse exemplaire qui nourrira son oeuvre. S’il adhère au socialisme, il comprend très tôt que la poésie est un moyen d’action, et son art prend une orientation de plus en plus engagée. Depuis Les Flamandes (1883). jusqu’aux Villes tentaculaires (1895) et aux Rythmes souverains (1910) en passant par Les Flambeaux (1891). il évolue vers une vision amplifiée. « hallucinée », qui doit autant au sentiment unanimiste qu’à une force expressive, soutenue par l’énergie du rythme, qui fascinera la jeune génération des poètes expressionnistes. Mais à côté de ce Verhaeren tout en puissance, il est aussi un poète des Heures claires (1896). sensible aux légers mouvements du cœur et des saisons, aux Tendresses premières ( 1904) de sa Flandre natale. Au faîte d’une gloire internationale, ovationné par les peuples en quête d’idéal, l’amère déception de la guerre amènera en lui toute la virulence de la haine. Car c’est toujours la ferveur de la lutte qui le guide : « …Homme, tout affronter vaut mieux que tout comprendre ;
La rie est à monter et non pas à descendre… » Ironie du destin, celui qui avait chanté le monde moderne avec tant de vitalité et d’optimisme finira ses jours, en pleine guerre, sur les rails du train de son dernier voyage.
Il restera à la lumière de cette biographie toute empreinte de sympathie vraie, à relire cette oeuvre vigoureuse, avec, toujours en tête, le souvenir de l’ample courbe de l’Escaut au village de Saint-Amand.
Dominique CRAHAY
Le Carnet et les Instants n° 75, 15 novembre 1992 – 15 janvier 1993