Élisa Brune, Alors heureuse… croient-ils! La vie sexuelle des femmes normales

La mécanique des femmes : un sujet méconnu ?

Élisa BRUNE, Alors heureuse…croient-ils ! La vie sexuelle des femmes normales, Rocher, 2009

Pour Élisa Brune, cette question ne se pose plus, il s’agit presque d’une affirmation. Voilà une constatation qu’elle a pu faire à son propos et selon des témoignages extérieurs, venant d’autres femmes mais d’hommes aussi, au terme d’une « enquête sauvage » qu’elle relate dans son dernier livre intitulé Alors heureuse… croient-ils, et sous-titré en termes  moins anecdotiques : La vie sexuelle des femmes normales. Le ton est donné et l’ambition déclarée : il y aura du sarcasme sans doute, mais un fond qui se veut sérieux, comme le suggère la seconde formule généralisante.

Forte du bien-fondé de son entreprise, forte aussi de sa colère, en quelque sorte, l’auteure s’explique sur sa démarche personnelle en quatrième de couverture et, dans un avertissement soigné, elle éclaire son propos, en détaille les motivations. Elle décrit sa méthode, tout compte fait rationnelle, à partir de ce qu’elle ne craint pas de désigner comme « un coup de gueule des femmes qui ont ramé… pour trouver le plaisir ». À commencer par elle-même à qui il a fallu du temps pour comprendre son anatomie et se connaître totalement. Mais elle ne s’en est pas tenue à cela et elle a sollicité les confidences de volontaires, des amies, des amis, des amants. Ce sont ces témoignages qu’elle rapporte, et qui, ajoutés au récit de ses propres expériences, occupent la plus large place dans ce volume, tant ils lui ont paru accablants. Au point de se convertir en un véritable réquisitoire contre la vie comme elle va et de la conduire vers ce qu’elle nommera une entreprise de salubrité publique.

Ce livre n’est donc pas un roman, comme élisa Brune tient à le préciser, ni une autofiction, ni un essai. « Il pourrait porter quarante signatures. Ou deux mille ». Sans être davantage un ouvrage scientifique, il fait état de statistiques selon lesquelles la jouissance est quelque chose d’exceptionnel : deux hommes sur dix connaîtraient quelque peu le corps des femmes, six arriveraient quant à eux à bon port, les derniers ratant même leur propre plaisir. Côté femmes, c’est pire : la plupart se débrouilleraient toutes seules, les autres restant dans l’innocence, ou plutôt l’ignorance.

Parfois on, en l’occurrence, moi, une femme, se frotte les yeux : a-t-on bien lu ? L’humour, la caricature, la mauvaise foi, revendiqués par l’auteur comme un droit et un moyen de convaincre, ne suffisent pas à faire passer  un message aussi noir, alors qu’il est limité au physiologique. Brune, en effet, ne s’attaque pas aux sentiments que peuvent partager un homme et une femme : il s’agit-là, dit-elle, d’une affaire personnelle. On  se pose alors la question : où sont passées la connaissance et la libre disposition de soi chèrement conquises par les femmes, il y a quelque quarante ou cinquante ans ? Qu’a-t-on fait des expériences et acquis féministes, des écrits, des références, des modèles ? Faut-il ne voir ici que quelques exemples isolés d’une éducation à œillères ou constater le triste résultat d’un reflux sinon l’aspiration à une « normalité » uniforme ?

Jeannine Paque


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 156 (2009)