
Charles Ducal
«Bonjour monsieur Ducal. Nous, les élèves de l’Athénée Royal de Bruxelles, vous invitons à visiter notre école à l’occasion de la Journée Mondiale de la Poésie pour y lire quelques poèmes. Je suis Palestinienne et j’ai lu vos poèmes sur la Palestine que je trouve super. Merci de lire ce message. Ce sera un grand honneur de vous rencontrer. J’espère que vous nous répondrez.»
En voilà un encouragement pour un poète national débutant ! Venant d’une fille de douze ans. J’ai eu un peu de peine à détecter de quel athénée exactement il s’agissait (il y en a cinq à Bruxelles), à contacter le prof qui aurait dû se trouver en cc et à régler un rendez-vous. De Roba, la fillette en question, je n’ai reçu par après plus que quatre mots: «Bon, c’est réglé alors!» Une future directrice qui sait déléguer! Son initiative aboutit à quelques leçons sur l’Occupation, la guerre et la poésie, destinées à des jeunes fort intéressés de la première et deuxième années du secondaire.
Déjà avant ma désignation de fin janvier 2014, j’avais reçu une longue lettre d’un prof de français de l’Institut Libre d’Ath en Hainaut. Il me racontait que quatorze élèves de la dernière année de la section Construction, des maçons en formation donc, travaillaient ensemble à la composition d’un recueil de poésie, inspiré par Arthur Rimbaud. Il m’avait invité à venir les voir en classe et à assister à la fin de l’année à la présentation du livre. À mon âge, j’ai développé une carapace déjà bien durcie, mais le jour de la présentation, j’avais les larmes aux yeux. Des élèves qui déposaient casque et truelle pour la plume et la poésie ! J’avais l’impression d’assister à une prise de conscience, une accusation implicite, mais convaincante contre la pauvreté intellectuelle et culturelle de l’enseignement professionnel. En Wallonie, pas mal de médias venaient visiter l’école. En Flandre, un compte-rendu de cette aventure a paru dans Klasse, la revue numérique du ministère de l’enseignement.
Au Limbourg, l’Institut Sainte-Marie de Neerpelt m’avait préparé une autre surprise. Comme chaque année, une enseignante de néerlandais enthousiaste avait poussé ses élèves des trois premières années du professionnel à écrire ensemble des nouvelles et de la poésie. Tâche pour laquelle ils avaient contacté le poète national, à qui ils voulaient attribuer un rôle dans l’histoire. Ce contact a non seulement mené à mes débuts comme personnage littéraire, mais il a abouti en outre à une collaboration fructueuse dans le domaine de la poésie : les élèves m’ont envoyé leurs poèmes, moi je les ai commentés. Le jour où je me suis rendu à l’école pour une leçon de poésie, suivie d’une réception pour fêter l’arrivée des livres, restera un des plus beaux souvenirs de cette année. Le résultat – dans la plupart des cas des textes traitant d’expériences personnelles et souvent tragiques des élèves – m’a convaincu que la poésie dispose d’une terre fertile à cultiver chez ces jeunes qui, pour exprimer ce qui marque leur vie, sont en quête d’autres mots que ceux du vocabulaire quotidien. Souvent manquant de métier encore, c’est bien évident, mais «Jamais faux», comme j’ai écrit à l’occasion de la Journée Mondiale de la Poésie 2015, dans un éloge de ces jeunes aventuriers du vers.
C’est avant tout dans les écoles, du Westhoek jusqu’au Luxembourg, que j’ai rencontré un enthousiasme encourageant vis-à-vis de la poésie. Si la lecture et par conséquent la compétence à lire et interpréter des poèmes ont désormais beaucoup diminué dans l’enseignement, ce n’est certainement pas la faute aux élèves qui ne s’y intéresseraient plus.
Une mission
Poète national ! Le titre faisait effet de formule magique. Quand, en décembre 2013, au terme de plusieurs conciliabules conjugaux, je me suis décidé enfin à écarter mes doutes et accepter le boulot, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Le jour de mon discours d’inauguration à Passa Porta, je fus totalement pris au dépourvu. Des journalistes et reporters de radio ont défilé dès le matin jusque tard dans la nuit, venus même de France et des Pays-Bas. À sept heures du soir, ma belle-mère est restée bouche bée devant le petit écran. Son beau-fils au journal télévisé ! C’était comme si, dès le premier jour, le projet faisait son apparition aux Champs-Elysées, vêtu du maillot jaune. Les semaines suivantes, les médias, du journal de qualité et de l’émission culturelle télévisée jusqu’ au quotidien publicitaire gratuit, continuaient à suivre le projet. Des amis et des connaissances bombardaient ma boîte mail avec des félicitations comme si le roi m’avait donné la croix d’honneur. À mon bar pitta habituel, le patron, en préparant un dürüm poulet sauce andalouse, m’a scruté comme s’il se demandait si oui ou non j’étais le suspect de l’avis de recherche. Jusqu’au moment où soudain il a compris et a tonné d’une voix enthousiaste : «Mais c’est vous qui allez nous écrire le concert pour la patrie!» Sur quoi il m’a offert le dürüm.
D’autre part, le titre sans doute a fait froncer pas mal de sourcils. La poésie associée à une patrie, une nation: quelle idée! La poésie est tout de même universelle et cosmopolite, non? Bien sûr, mais nous sommes en Belgique. Dans ce contexte, mon titre se réfère non pas à un nationalisme borné, mais bien au contraire au désir d’aller à l’encontre d’un certain esprit de suffisance. Et par là, il correspond exactement à ma mission : le devoir de publier six poèmes par année sur des sujets touchant tous les Belges, au-delà des frontières linguistiques, afin d’établir ainsi un rapprochement entre les trois communautés culturelles du pays. Dans mon discours du 29 janvier, cette mission, je lui ai forcé un peu la main: j’avais surtout l’intention de rendre la poésie plus visible dans la société, non pas comme un passe-temps élitiste, mais dans une approche différente, s’adressant à tous. Tout cela dans un esprit de solidarité, non seulement au niveau linguistique, mais aussi sur le plan social. Je ne voulais pas être le chanteur d’une médiocrité commune, le poète de messages clichés, acceptables pour tout un chacun. Je n’avais pas l’intention de cacher ma vision du monde ou de mettre mon engagement au frigo. Durant toute la période de ma fonction, mon cœur a continué de battre à gauche.
Art et engagement
Sur le fil ténu entre art et engagement, il faut faire attention de ne pas tomber dans le vide. Voilà pourquoi je n’ai pas voulu suivre l’actualité comme un âne poursuivant sa carotte. Pour chaque poème, j’ai voulu prendre le temps nécessaire, bien qu’en même temps il m’ait fallu écrire des vers connectés à la réalité sociale d’aujourd’hui. Une ambition qui ne pouvait mener qu’à l’échec, selon l’avis d’un de mes collègues, qui, poussé par un honnête souci de ma carrière, a insisté sur la priorité de mon nombril. «Tous ces poètes attitrés d’une ville, d’un village ou pays, franchement Charles, est-ce qu’ils ont jamais produit un seul poème de qualité?»
Et en effet, n’est-ce pas une sottise de vouloir pénétrer au cœur de la réalité sociale par des poèmes ? N’est-ce pas de l’affectation de vouloir stimuler à travers la poésie la solidarité entre des communautés linguistiques, et ceci à l’encontre de puissants instruments de propagande ? Cela ne revient-il pas à une trahison de la poésie de la délier de l’expérience et de l’inspiration la plus individuelle, et d’écrire sur des thèmes généraux ? J’aurais pu chercher la réponse chez Bertolt Brecht, mais voici ma conviction personnelle : je suis persuadé que la poésie ne doit tolérer aucune contrainte extérieure, aucune motivation commandée par un idéal, un engagement ou une idéologie. Je ne sais pas écrire sur commande, même pas si j’y souscris à cent pour cent. L’essence d’un poème pour moi reste toujours l’émotion la plus individuelle. C’est pourquoi j’ai voulu absolument choisir moi-même mes sujets. Si je n’avais pas pu le faire, j’aurais refusé la mission. Tous les sujets que j’ai abordés ont au cœur une forte émotion. Il y a des poètes qui détestent les manifestations de masse. Pas moi, j’y participe le cœur ému et les yeux humides. Marcher ensemble pour une cause juste fait vibrer en moi une corde sensible, qu’ il m’est difficile d’expliquer. Elle est connectée à des sentiments d’espoir, de solidarité, et au refus de céder au pessimisme, au cynisme et à l’impuissance. Au centre de plusieurs poèmes se trouve une grande colère contre la folie néo-libérale qui empoisonne les cerveaux, monte les gens les uns contre les autres et détruit des vies humaines. La couche profonde de tous ces poèmes est toujours « moi », même si ce mot ne paraît pas dans le texte.
Est-ce que la poésie peut sauver le monde? Il est évident que dans la guerre globale du riche contre le pauvre, du profit contre l’environnement, de l’agresseur contre la victime, la poésie n’a aucun poids au sens matériel ou pratique. Je ne fais pas partie de l’élite au pouvoir qui commande des leviers sociaux puissants, je ne suis qu’un être parmi les nombreux qui n’ont d’autre puissance que leur nombre. Ma poésie, à mes yeux, n’a pas plus de pouvoir qu’elle n’en a en réalité, je la considère comme une voix originale (du moins je l’espère), mais petite, qui doit atteindre le maximum possible d’oreilles, pour s’amplifier et retentir finalement dans une voix commune. Ni plus ni moins.
Car c’est ça que j’ai essayé tout au long de ces deux années: donner aux poèmes une portée au-delà de la publication dans les journaux partenaires ou sur le site web du poète national. J’ai dû me battre et parfois j’ai dû insister, mais souvent, j’ai été agréablement surpris par les réactions enthousiastes de la part du champ social. La découverte du poème «Consigne de vote», installé sur une place publique à Louvain à l’initiative de la FGTB du Brabant Flamand, et celle de «Réfugiés», exposé au Jardin de la Mémoire à Westouter, sont des moments qui m’ont fort marqué. J’ai écrit à propos du travail, de l’école, de l’inégalité, et – évidence même dans cette année de commémoration – à propos de la guerre. « Soldat 1914 » m’a emmené à Visé, première ville martyre de notre pays, pour une commémoration émouvante et aussi au « Schoon Verdiep » de l’hôtel de ville à Anvers, pour l’inauguration du ponton sur l’Escaut. En présence du roi, sur le visage duquel un profond étonnement était lisible. Un poète national ? Et moi, je n’en sais rien ?
Commémorer les guerres du passé et se taire sur les guerres d’aujourd’hui, ce serait assez hypocrite. Au moment où tout le pays brûlait d’indignation à cause de la terreur sioniste contre la population de Gaza, j’ai publié «De la cendre dans la bouche». Le poème s’est heurté à des réactions extrêmement violentes de la part du camp pro-israélien, meilleure preuve évidemment que la flèche avait atteint sa cible. Par contre, aucun autre poème ne m’a valu autant de félicitations, mais ce qui m’ a encouragé le plus, je l’ai trouvé un soir dans ma boîte aux lettres: il s’agit du texte d’une messe où le poème a servi comme première lecture et ensuite a été le sujet du sermon. Ce qui a renforcé ma conviction que non, la religion n’est pas toujours de l’opium pour le peuple.
Un mur culturel
J’ai beaucoup appris ces deux dernières années. Sur le travail fort sous-estimé des traducteurs de poésie, par exemple. J’ai eu le plaisir de pouvoir assister aux réunions de travail du Collectif des Traducteurs de Passa Porta (Katelijne De Vuyst, Bart Vonck, Danielle Losman, Pierre Géron et Isabel Hessel) et je suis plein d’admiration devant les belles traductions qu’ils ont réalisées pour nos partenaires de la presse francophone et germanophone. Les vrais auteurs de la poésie européenne, ce sont les traducteurs. C’est une boutade, mais je la répète volontiers. J’ai aussi appris beaucoup de français. Avant que je ne devienne poète national, je ne savais pratiquement rien au sujet de la poésie francophone de Belgique. Grâce au projet, j’ai fait la connaissance de plusieurs collègues excellents d’au-delà de la frontière linguistique que par après, j’ai pu inviter en Flandre. Avec l’actrice Dominique de Coster, j’ai animé chaque mois une « Minute flamande », présentation d’un poète flamand, sur Actu tv, une chaîne francophone sur l’internet. Toujours avec Dominique, j’ai présenté des poèmes de Gezelle, Claus, entre autres, aux Midis de la Poésie à Bruxelles. À Roisin, j’ai été accueilli de façon très généreuse par l’Association Émile Verhaeren, rencontre qui m’a incité à redécouvrir l’œuvre de ce grand prédécesseur. A l’Intime Festival de Namur, j’ai fait la plus touchante de mes rencontres. Une femme inconnue est venue me trouver dans la foule que je traversais avant d’entrer dans la salle. Elle m’a remercié de ma lecture à Visé, deux semaines plus tôt, à l’occasion de la commémoration de la Grande Guerre. «On n’a même pas eu l’occasion de vous applaudir, monsieur.» Les larmes aux yeux. J’en suis resté interdit.
Toutefois, Charles Ducal est resté un illustre inconnu en Belgique francophone. Il m’a fallu presqu’une année avant d’en saisir les implications. Les invitations ne venaient qu’au compte-gouttes. Je me suis heurté à un fossé culturel que j’ai voulu franchir. À ce moment est née l’idée d’une ambassadrice francophone. Cela ne pouvait être que Laurence Vielle, à qui les organisateurs s’étaient déjà adressés pour ma succession en janvier 2016. Une alliance féconde, car les contacts se sont multipliés, de nouvelles organisations ont adhéré au projet et petit à petit, le compte-gouttes s’est transformé en petit filet. Mais il reste du travail à faire. Dans le monde culturel les contacts se nouent facilement, mais le contexte actuel est peu favorable. Dans la Belgique d’aujourd’hui, avec ses structures politiques et sociales de plus en plus séparées, la seconde langue de moins en moins maîtrisée et les médias s’intéressant très peu sur la culture de l’autre, il est difficile de trouver un public pour les initiatives impliquant l’autre communauté. Quarante ans de fédéralisation laissent des traces, évidemment. Néanmoins, jusqu’ à ce jour on n’a pas réussi à intoxiquer les gens au point qu’ils voudraient en finir avec ce beau pays. C’est ce que j’ai éprouvé moi-même. Jamais, je n’ai vu la moindre trace d’indifférence ou d’hostilité, ce que j’ai vu par contre, c’est plutôt le regret, voire la honte d’avoir accepté si bêtement cette division artificielle de nos richesses linguistiques et culturelles. Ces deux années m’ont convaincu du fait qu’une collaboration au-delà des frontières linguistiques s’avérera bien plus riche que prévu.
Dans la rue et à la Banque Nationale
Il va de soi que le temps nécessité par la traduction de mes poèmes m’empêche de réagir immédiatement à l’actualité brûlante. Pas de poème sur un avion descendu deux jours avant ou sur une décapitation survenue hier en Irak. Et j’en suis heureux. Je suis fort content qu’on ne m’ait pas demandé de réagir à si court terme. Les poètes n’ont pas de pensées plus originales ou plus intelligentes sur l’homme et le monde que les autres mortels. Leurs premières réactions risquent d’être aussi prédictibles ou banales que celles de tout un chacun. Une phrase ne se transforme pas automatiquement en musique dans la bouche d’un poète et sous sa plume, une situation ne se transforme pas forcément en image originale. Quand on compare les premiers jets d’un poème avec le résultat final, il est évident que c’est la langue, que ce sont les images et la formulation qui rendent plus originale, plus intéressante la présentation d’une idée. À mon avis, le poème doit avoir le temps de mûrir afin que par la parole, il puisse approcher la réalité de façon déviante et par là éclairante. J’avoue que, avant de me lancer dans cette aventure et pour ne pas partir le sac à dos vide, j’ai d’abord consulté mon cahier de brouillons. Beaucoup de poèmes existaient déjà dans une version initiale. Le poète national est avant tout poète. La dernière chose qu’il peut trahir, c’est la poésie.
Ces deux années, j’ai eu pleinement l’occasion de constater que, en effet, l’intérêt des gens pour la poésie a quasiment disparu. Après l’école, sauf à l’occasion d’une naissance, un mariage ou un enterrement, la plupart des gens n’entrent plus du tout en contact avec la poésie. Est-ce que cela est inévitable? Je n’en suis pas sûr. Maintes fois, j’ai été surpris par une attitude beaucoup plus ouverte que je ne l’avais imaginé. À part quelques rares personnages grincheux qui ont fait pas mal de bruit, en général, le monde culturel a accueilli le projet de façon très positive. Par ailleurs, j’ai reçu beaucoup de mails de gens qui ne lisent pas ou très peu de poèmes, mais qui réagissaient à tel ou tel poème paru dans le journal, qui me demandaient de le lire à une conférence ou à la présentation d’un livre. À ma grande joie, je n’ai pas uniquement visité des salles de théâtre, des festivals ou des centres culturels, mais aussi des écoles et des maisons de retraite. Je suis heureux de ne pas avoir seulement lu mes poèmes lors des commémorations officielles de la Grande Guerre, mais aussi devant l’Église du Béguinage à Bruxelles à la mémoire de tous ces réfugiés morts en mer, à l’ouverture de l’exposition «Comment je suis devenu sans-abri» à Anvers ou à Manifiesta, la fête de la solidarité à Bredene. Et surtout: je suis content de ne pas avoir seulement lu en néerlandais, mais aussi en français (et une fois même en allemand), pas seulement à la Banque Nationale, mais aussi dans la rue, à Schaerbeek, devant le monument pour les soldats Congolais morts dans les deux guerres mondiales, à l’invitation du MRAX. Mais s’il y a une chose que cette expérience m’a apprise, c’est celle-ci: si la poésie aborde les thèmes sociaux de façon accessible, elle s’adresse à beaucoup plus de gens qu’on ne le croirait. Bien sûr, pour les milieux syndicaux, les groupes d’action et les organisations sociales, la poésie n’est pas une priorité, d’autant plus qu’en sens inverse aussi, l’intérêt est plutôt mince. C’est la poésie qui doit sortir de sa niche et frapper à la porte, et qui doit refrapper si on n’ouvre pas immédiatement.
Et sur l’écran ?
Si en janvier 2014 on avait suivi le conseil de donner à Stromae le titre de poète national, il est certain que ce dernier aurait été plus présent dans les médias. A part une exception à la télé flamande, les gens ne m’ont pas vu à l’écran. Je n’ai pas attiré les médias vers des évènements spectaculaires et télégéniques. J’ai essayé d’écrire mes poèmes dans une langue accessible pour la plupart des gens, mais je n’ai pas recherché une visibilité maximale au marché du succès individuel. Etant un personnage peu connu et étant plutôt discret de caractère, ce n’était pas vraiment ma tasse de thé. J’ai recherché autre chose. Dans une société impitoyable et de plus en plus individualiste, obéissant de plus en plus aux lois du profit et cela aussi au niveau culturel, je suis parti à la recherche du contre-courant, je me suis adressé à ceux qui se battent pour un monde plus humain et plus solidaire : aux syndicalistes engagés, aux organisations qui se battent contre la pauvreté et qui défendent les sans-papiers, aux médias qui n’oublient pas leur tâche essentielle de critiquer, au mouvement citoyen Hart boven Hard / Tout autre Chose, aux défenseurs d’une école démocratique, etc. Si sur cette route, j’ai pu rencontrer un ambassadeur à gauche, un bourgmestre à droite, je me suis bien poliment entretenu avec eux, mais sans y attacher l’importance qu’avaient pour moi les rencontres dans les écoles ou les autres « petits » événements de ce genre dont on parle rarement dans les journaux ou à la télé.
Néanmoins, je me rends fort bien compte du fait que le premier poète national manquait de la visibilité auprès du grand public. Mon successeur, à la fois brillante poétesse et actrice flamboyante, réparera certainement ce défaut. À moi, son ambassadeur pour l’année 2016, de la soutenir de toutes mes forces.
Charles Ducal
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 188 (octobre – décembre 2015), basé sur un texte en néerlandais (« Een gratis durum », Poëziekrant n°1, janvier 2015) retravaillé par l’auteur et traduit par Katelijne De Vuyst.