L’amour des livres en partage
Muriel CLAUDE et Pierre MERTENS, À la proue, CFC éditions, 2014
Le titre, d’emblée, nous avait émus : à la proue allait ressusciter, sous les plumes de Muriel Claude et Pierre Mertens, la librairie inoubliée de la rue des Éperonniers, au cœur de Bruxelles : La Proue, mot de passe pour les fervents de littérature. Inséparable du nom d’Henri Mercier, en qui, dans son avant-dire, Guy Goffette salue « le plus surprenant, le plus fascinant des libraires ».
Ainsi nous préparions-nous à retrouver, peut-être mieux cerner, le monde de cet homme aussi sombre que passionné, aussi distant qu’attentif, dominé par une ardente curiosité qui embrassait la littérature, l’art, la philosophie.
Après un ensemble de photographies qu’elle avait prises voici vingt ans, avant de la quitter, de La Proue où elle avait appris le métier – pas avec Henri Mercier qu’elle a seulement croisé mais avec son successeur –, nous suivons la chronique personnelle de Muriel Claude. Puis les lettres que lui adresse Pierre Mertens, à qui elle était venue montrer ces images de la librairie dont il a gardé l’empreinte, lieu austère, submergé de volumes recélant des trésors, et dont il évoque avec une amitié respectueuse le maître à bord solitaire, « une sorte d’hidalgo taciturne », qui a marqué sa jeunesse.
Images qui sont le point de départ de réflexions sur les nouvelles technologies ; sur l’avenir du livre qu’on prétend menacé, sinon condamné. D’échanges vibrants entre la libraire et l’écrivain, portés par une passion identique pour l’écrit ; célébrant le métier de libraire, vécu au quotidien par Muriel Claude, qui s’exalte : « En vendant un livre, le libraire vend et regarde partir avec un inconnu, une inconnue, une part de sa vie intérieure ».
Qu’en eût pensé « l’hidalgo taciturne », volontiers pince-sans-rire ?
Ne cédons pas à la mélancolie. Finissons plutôt sur un sourire, en précisant au vol que le beau vers « Nous n’aurons plus jamais notre âme de ce soir » est d’Anna de Noailles.
Francine Ghysen
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°183 (2014)