Fantasme fiction
Alain DARTEVELLE, Terrestrial Parade, manuscrit.com, 2001
La maison d’édition numérique manuscrit.corn a pour vocation de présenter au public des manuscrits de qualité détectés par un réseau de 150 libraires ou critiques et relevant de tous les genres, de la poésie au polar en passant par l’histoire, le cinéma ou l’érotisme. Non content de les diffuser sur Internet, elle édite nombre d’entre eux tels quels, dans l’urgence, sans opérer de travail éditorial. On peut s’interroger sur le bien-fondé de cette démarche : les livres ne manquent pas et, plutôt que de larges réseaux anonymes, les lecteurs ont besoin, me semble-t-il, d’éditeurs sévères et audacieux, triant implacablement les manuscrits et poussant les auteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Mais laissons-la ce débat et penchons-nous sur une publication « papier » de cette maison numérique : un recueil de nouvelles de SF intitulé Terrestrial Parade. Alors que la plupart des écrivains de manuscrit.com sont de parfaits inconnus, c’est à Alain Dartevelle, auteur d’une dizaine de livres, que nous devons cette livraison. Recueil composé de sept courtes nouvelles et d’un texte plus long, Terrestrial Parade bénéficie d’une grande cohérence, l’imaginaire de Dartevelle tissant et retissant une toile serrée, sans jamais négliger le moindre fil de ses récits. Presque tout est dépaysant dans la collection d’univers qu’il nous présente. De plus, à l’intérieur même de ces mondes inhumains, rêve et réalité, représentation et réel, présent et passé, vie et mort se mêlent volontiers, de sorte que l’univers de référence (notre existence normale de lecteur) s’éloigne au fil des paragraphes. A part dans le dernier texte, « Vitrines », qui fait songer à certaines dérives télévisuelles voyeuristes d’aujourd’hui, la SF de Dartevelle n’est pas basée sur une projection du présent dans l’avenir. Elle ne sert pas à dénoncer les dangers futurs qui menacent l’humanité. Elle est au service de l’imagination de l’auteur, qui peut, sur l’écran vierge d’un monde indéterminé, projeter librement ses fantasmes. Ceux-ci ne s’écrivent pas à l’eau de rosé et, comme le montre « Terrestrial Parade », le texte le plus long du recueil, ils peuvent assurément être qualifiés de sadiques. Ma préférence va aux récits brefs, dans lesquels ce sadisme fantasmatique ne s’exprime pas de façon brute. Ces récits présentent en outre l’avantage d’aller droit au but, la présentation de l’univers neuf épousant l’avancée du récit, tandis que, dans « Terrestrial Parade », l’univers est d’abord posé avant que l’action proprement dite ne démarre. Certaines de ces courtes nouvelles sont fortes, comme « Ego puissance X », dans laquelle un vieil homme donne son corps à la science dans l’espoir de devenir immortel… Reste à parler de la qualité matérielle du livre et des « imperfections » dont se dédouanent à l’avance les éditeurs. A part quelques mots répétés par erreur et un horrible belgicisme utilisé à deux reprises (« trop » + adjectif « pour » + infinitif), le texte est tout à fait présentable : Alain Dartevelle soigne ses manuscrits.
Laurent Demoulin
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°120 (2001)