Luc Dellisse, Le professeur de scénario

Scénario, mode d’emploi

Luc DELLISSE, L’atelier du scénariste. Vingt secrets de fabrication, Impressions nouvelles, coll. « Réflexions faites », 2009, 189 p., 16 € ; Le professeur de scénario, id., coll. « Traverses », 2009, 279 p., 19 €

dellisse l atelier du scenariste 2009Luc Dellisse, écrivain, scénariste, enseignant à l’ULB et à la Sorbonne, publie simultanément aux Impressions nouvelles deux livres proches par leur thématique, mais appartenant à deux genres différents. Si Le professeur de scénario est un roman, L’atelier du scénariste est quant à lui un ouvrage d’analyse, qui prolonge une réflexion entamée en 2006 avec la parution, chez le même éditeur, de L’invention du scénario. Ce dernier s’attachait à « décrire les lois générales du scénario » ; L’atelier du scénariste complète cette approche didactique en se présentant non pas « comme un livre de théorie, mais une suite de découvertes pratiques ». Il se divise en vingt chapitres, qui abordent des notions essentielles de l’art du scénario : pitch, synopsis et continuité dialoguée, prologue et épilogue, protagoniste et antagoniste, flash-back et ellipse, voix off, adaptation, etc. Approche double, en l’occurrence, puisque les réflexions de l’auteur sur le thème choisi sont complétées, pour chacun des mots clés, par l’analyse assez fouillée d’un film.

Ces choix sont, par la force des choses, subjectifs, et n’entendent pas constituer une cinémathèque idéale. Du reste, l’éventail est large : à côté de cinéastes classiques, ou désormais considérés comme tels, de Sacha Guitry à Billy Wilder et de Melville à Godard, on y trouve des auteurs contemporains (comme Terry Gilliam, Almodovar, Michel Deville, Jacques Audiard ou Philippe Lioret), sans oublier l’une ou l’autre incursion du côté des films grand public (Les aventuriers de l’Arche perdue ou Spiderman). Tous ne sont pas érigés en modèles, et l’auteur n’hésite pas à émettre des réserves sur, par exemple, l’hermétique Lost Highway de David Lynch ou le peu empathique Barbier de Fleet Street de Tim Burton.

Luc Dellisse insiste sur le fait qu’écrire un scénario, ce n’est pas seulement concevoir une histoire cohérente, dont tous les éléments, ou du moins la plupart d’entre eux, convergent vers une fin qui les confirme et les valide a posteriori. C’est également faire œuvre d’écrivain, enrichir le récit d’apports personnels, puisés dans l’imaginaire ou l’expérience propres de l’auteur. S’il est vrai qu’un scénario est un « palimpseste » ou une « partition », autrement dit un écrit provisoire amené à s’abolir dans le film terminé, il n’en reste pas moins qu’il est aussi « une entreprise d’écrivain à part entière », et qu’il importe de remettre « l’écriture au centre du dispositif de la création cinématographique ». Telle est sans doute l’idée la plus féconde qui parcourt ce livre très stimulant, et le distingue de tous ceux qui réduisent l’écriture pour le cinéma à une approche purement technique, à l’application de recettes éprouvées mais réductrices.

dellisse le professeur de scenarioSe proposer d’écrire un roman intitulé Le professeur de scénario, lorsqu’on est soi-même professeur de scénario et auteur de deux livres sur la question, c’est ce qui s’appelle se mettre au pied du mur. Le risque étant que l’écrivain se révèle ici avant tout scénariste. Rassurons d’emblée le lecteur : Le professeur de scénario est un vrai roman, auquel ne manque aucun des ingrédients qui font la réussite du genre. Une intrigue complexe menée de main de maître. Une brochette de personnages fortement typés et néanmoins parfaitement crédibles. La peinture acerbe d’un milieu sclérosé, d’un monde en dehors du monde, en l’occurrence celui de l’Alma Mater, qui n’est pas sans rappeler le drolatique Roman d’Oxford de Javier Marías ou certains livres de David Lodge. Une écriture alerte, à l’humour corrosif, jalonnée de réflexions douces-amères sur les affres du mâle vieillissant ou la fascination exercée par le pouvoir et l’argent-roi (« Pour trouver grâce aux yeux des universitaires en poste, il ne suffit pas d’afficher un préjugé contre la richesse : il faut encore jouir d’une confortable aisance »).

Tout commence par une affaire de copies d’examen dérobées au département de cinéma de l’Université de Genève, qui entraîne la mise à pied de l’enseignante fautive. Par sympathie pour son infortunée collègue, le narrateur, professeur de scénario donc, décide de lever le voile sur ce qu’il pressent être une machination. Partant de l’idée que la vie elle-même est un scénario, il mène l’enquête en même temps que sa carrière et ses amours. Au gré des réunions académiques, des conversations de couloir et des contacts avec les étudiants, il remonte peu à peu la filière. Et finira par découvrir que, derrière l’anecdote du vol inaugural, se cache en réalité une histoire sordide de chantage, de détournement de fonds et même d’assassinat maquillé en suicide…

Détail amusant, et rare dans un ouvrage romanesque, le narrateur s’appelle… Luc Dellisse. Ce n’est là, bien sûr, qu’un trompe-l’œil : loin d’inscrire le récit dans une quelconque « écriture de soi », la confusion du protagoniste et de l’écrivain renforce au contraire la dimension fictionnelle du personnage. La quatrième de couverture est là pour en témoigner, où l’auteur écrit qu’il n’a jamais enseigné à Genève, ni vécu ou commis aucun des faits qui lui sont imputés dans le livre. Ajoutant, histoire de brouiller un peu plus les cartes : « Pourtant, cette histoire est vraie de bout en bout : il m’a suffi de relier certains moments forts de mon passé par le fil d’or de l’imagination. Tout cela, j’en suis sûr, finira par arriver. Déjà, depuis quelque temps, ma vie s’est mise à ressembler à mon roman… »

Daniel Arnaut


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°159 (2009)