Dellisse, au chevet de la Belgique
Luc DELLISSE, Le testament belge, Impressions Nouvelles, 2008
Et si la Belgique était menacée d’implosion ? À cette question, la littérature a déjà tenté des réponses. A sa manière, qui est celle de la fiction. Mais celle-ci dépasse parfois le réel, quand elle ne l’anticipe pas. Jeu auquel s’adonne Luc Dellisse avec délectation.
Dans le genre, on se souvient notamment du récent recueil de nouvelles d’Yves Wellens, Mémoires d’Outre-Belgique, publié au Grand Miroir, ou encore, plus éloigné dans le temps, d’Une paix royale, édition du Seuil, de Pierre Mertens, dont la finale apocalyptique balaie la Belgique d’un gigantesque raz-de-marée.
Luc Dellisse, dont on connaît l’expertise en matière de scénario, en dessine un aux accents de thriller qui ne dit pas immédiatement son nom dans Le testament belge. L’auteur fait remonter son roman fin des années nonante et entraîne son narrateur, un certain Luc Dellisse, poète hermétique et solitaire, dans les arcanes de l’administration et de la politique. Son ami Montalban, récent directeur de cabinet du ministre de la Culture, le mandate pour des missions assez rocambolesques, comme la valorisation des vins belges lors d’un concours oenologique en Tunisie, ou encore un voyage épique en Albanie pour échanger une oeuvre d’art détenue par le MaaLL, le Musée d’art ancien de La Louvière. Parmi ses aventures dignes de celles de Tintin, il y a aussi celles qui l’entraînent en Chine où son avion se crashe dans une région enneigée, tout cela pour récupérer les Mémoires d’un ancien Premier ministre belge. Notre globe-trotter, missi dominici de la grandeur artistique belge, se voit également proposer un poste de directeur de centre culturel wallon… en Roumanie. Rien que ça. Le lecteur sent que tous ces épisodes qui nous entraînent en Absurdie ne sont que mises en bouche avant le passage à un autre registre. Celui-ci déboule lorsque Montalban confie à notre héros, sous le sceau du secret d’Etat, le rêve d’un ancien industriel de consacrer sa fortune, seize tonnes d’or, à la création d’une République Indépendante de Wallonie. Sous le couvert d’une étude consacrée au patrimoine industriel de cette région, Montalban charge Dellisse de retrouver ce trésor caché. Le roman vire dès lors au thriller administrativo-politique et les embûches se multiplient dans la quête que Dellisse, le personnage, mène pour sauver la Belgique du naufrage. Cette saga prend des accents dramatiques lorsqu’elle débouche sur l’assassinat de Montalban, mais on retient surtout le fait que Dellisse, l’écrivain, ne se prend qu’à moitié au sérieux, truffe son roman de clés comme lorsqu’il évoque la grande prêtresse du Théâtre-Roman, Odile de Rhénal, ou Isidore Sobelman, le voyageur de commerce du théâtre européen, dont il dresse des portraits désopilants. Surtout, il joue de cette Belgique avec laquelle il noue des rapports d’amour-haine, une Belgique dont il se moque tendrement, une Belgique dont il annonce la fin avec des accents semi-prophétiques, une Belgique où « la vie politique était devenue entièrement souterraine. Plus rien de ce qui se disait au grand jour n’avait le moindre sens. » Lui continue à vivre caché, sa seule passion durable.
Michel Torrekens
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°153 (2008)