Portes et livres ouverts : venez écouter Des mots d’éditeurs

Des mots d’éditeurs – Photo Michel Torrekens

De nombreux lieux présentent, font vivre et découvrir, l’œuvre d’auteurs belges. Des lieux essentiels puisqu’ils permettent de mettre un visage sur un nom et d’entendre l’écrivain s’exprimer en direct sur son travail. Mais que serait un écrivain sans éditeur ? Pourtant, les animations avec des éditeurs comme invités sont plutôt rares, d’où l’intérêt de ces soirées intitulées Des mots d’éditeurs, proposées par un libraire… volant !

Au moment où nous rédigeons cet article, au cœur de l’été, Dulia Lengema, initiateur du concept des rencontres Des mots d’éditeurs, se trouve à Arles où il travaille comme saisonnier dans la librairie d’un… éditeur. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit d’Actes Sud, maison créée par le Belge Hubert Nyssen et reprise par sa fille Françoise, éphémère ministre de la Culture en France. Dulia, libraire volant, y passe son été avant de repartir vers d’autres librairies ou salons qui auraient besoin de ses services.

L’intermittent du livre

C’est au mois de décembre 2018 que Dulia Lengema s’est lancé comme libraire volant. « Pour la petite histoire, précise-t-il depuis Arles, j’ai eu cette idée en lisant le livre : Une vie de facteur, de Jean-Jacques Kissling. » Ouvrage paru chez l’éditeur genevois Héros-Limite, dans la collection « Tuta Blu » (« bleu de travail ») sur le monde des métiers, Dulia l’a reçu en février 2018. Jean-Jacques Kissling y raconte sa vie de facteur qui a choisi de travailler comme auxiliaire, comme remplaçant de camarades absents, pour pouvoir voyager. S’il n’est pas facteur, Dulia Lengema devient homme de lettres itinérant d’une autre sorte : « Je me suis dit que je devrais faire la même chose en librairie. C’est par la suite que j’ai découvert que ce métier existait déjà en France depuis deux ou trois ans. » L’idée serait auvergnate et le principe est soutenu depuis par le ministère de la Culture. Libraires Volants, service de remplacement en librairie, dispose de son site et de sa page Facebook[1]. Sa directrice, Leslie Vega, elle-même libraire, a obtenu le prix IFCIC – Entreprendre dans la Culture 2018.

Ceci étant, le projet « Des mots d’éditeurs » que Dulia Lengema a inauguré en 2017 n’est pas du tout lié à son métier de libraire volant. À l’époque, il est toujours employé dans une « grande librairie », comme il précise lui-même, et son initiative vient de « l’envie de faire quelque chose qui avait du sens pour moi. L’envie aussi de sortir des librairies pour aller vers d’autres gens, d’autres publics qui ne se sentent pas forcément à l’aise dans le cadre d’une librairie. » On touche là à un des fondamentaux de ses rencontres, qu’il qualifie d’itinérantes et d’éphémères. Celles-ci se déroulent dans des endroits qui n’ont apparemment pas de liens avec la littérature ou le monde de l’édition, des lieux souvent insolites, dont les participants invités à s’inscrire pour un Save the date, ne découvrent « l’identité » et l’adresse que trois ou quatre jours à l’avance. « Je souhaite mettre en évidence le travail souvent peu connu et pourtant formidable de petites maisons d’éditions indépendantes, précise Dulia. Chaque rencontre se tient dans un lieu inattendu et insolite qui fera office de « librairie d’un soir » dont les étagères ne seront remplies que par les livres de l’éditeur invité. »

Un antiquaire, une fleuriste…

En juin, je me suis rendu à la rencontre consacrée à la maison d’édition québécoise Le Quartanier. Pour l’occasion, son directeur Éric de Larochellière était accompagné d’Alexie Morin, récente lauréate du prix des Libraires du Québec pour son roman autobiographique, Ouvrir son cœur. J’arrive au cœur des Marolles, rue Haute, devant un magasin… d’antiquités, Dokidoc. « Être dans un lieu original donne, explique Dulia, une atmosphère particulière à la soirée, on est invité dans un espace qui est utilisé à contre-emploi, on est invité chez quelqu’un, on investit un lieu… Bref, ça donne un petit goût particulierIl faut souligner la générosité de tous ces lieux qui accueillent les rencontres et qui jouent le jeu. J’ai toujours été accueilli par des personnes formidables de gentillesse. Je pense à Dan, qui nous a ouvert Dokidoc pour cette soirée, antiquaire de talent spécialisé dans les luminaires qui n’aime pas être mis en avant mais qui est d’une telle générosité ! Ou Caroline la fleuriste qui a accueilli comme à la maison, Bertrand le galeriste, l’enthousiasme et l’énergie de Virginia, Sandro l’ébéniste qui n’avait pas de siège et qui nous a construit des bancs avec son équipe juste pour la rencontre, Mathilde et la patience de son équipe, Sophie, Delphine, Flavien et Séverine qui étaient super attentionnés, Vincent qui nous a reçus dans un des immeubles les plus incroyables que j’aie pu voir à Bruxelles. »

D’emblée, je suis séduit par la façade et l’intimité du décor. Les publications du Quartanier ont envahi les espaces, sous les lumières tamisées d’une trentaine de luminaires vintage vendus sur place, ce qui crée une atmosphère particulière. Des meubles et objets modernistes, pour la plupart d’avant-guerre, ajoutent une touche inédite et contribuent à rendre les lieux inspirants. Un guitariste et deux lecteurs répètent les extraits dont ils émailleront la rencontre, guidés par Dulia qui prodigue ses conseils. Chaque soirée est ainsi accompagnée de lectures et de musique… Ce soir-là, l’accent si chantant des invités québécois apportera la touche exotique à ce moment unique. Car si ces Mots d’éditeurs sont itinérants, ils sont également éphémères ! «  Éphémère, c’est le fait que chaque rencontre se fait dans un lieu différent, précise Dulia. Mais aussi un éditeur ou une éditrice qui change à chaque fois. La rencontre se fait éphémère parce que la rencontre se passe et puis on n’y revient plus, ni dans le lieu ni avec le même éditeur ou la même éditrice. Comme le lieu et l’éditeur ou l’éditrice ne se retrouvent qu’une seule fois au même endroit, on ne profite des deux qu’une seule et unique fois. Faire de chaque rencontre un objet différent, c’est mon souhait en tout cas. Bien sûr, il y a eu des exceptions. Dan de Dokidoc a accueilli trois rencontres, Caroline la fleuriste deux. »

Plusieurs galeries ont accueilli ces Mots D’éditeurs, comme Art’ère 30, Lin galerie, l’Arboriginal Signature Estrangin ou La spirale, créée par l’artiste colombienne Virginia Hernandez. Citons également La frénésie, petit bijou de fleuristerie, Le tipi, nouvel espace tout de briques et de poutres, qui accueille des projets émergents et moins neufs, le Magasin d’histoires de BNA-BBOT, une bibliothèque sonore trilingue, des lieux qui allient culture et agriculture comme les Écuries van de Tram ou Parkfarm, l’atelier de design Ouste… Des lieux choisis de manière aléatoire : « Ce sont souvent des endroits que je « découvre « par hasard, confie Dulia Lengema, en me baladant ou en cherchant un type de lieu spécifique ou parce qu’une connaissance me dit d’aller voir. Des lieux dans lesquels je « sens bien » tel ou tel éditeur. Le métier d’éditeur est proche de l’artisanat et il me semblait intéressant de mettre en parallèle le travail d’éditeur avec le lieu qui l’accueille : mettre en parallèle le travail d’artisan et d’artisan éditeur. » Des endroits insolites, tenus secrets jusque quelques heures avant l’événement, ce qui ajoute encore du piment à la découverte !

Elizad, Tusitala, Ypsilon, etc.

En trois saisons et vingt-deux maisons d’édition au compteur, notre libraire globe-trotteur a déjà engrangé pas mal de bons moments. Maisons d’édition, quelles maisons d’édition ? Albin Michel ? Robert Laffont ? Fayard, Stock ? Galligraseuil ? Que nenni ! Dulia sort des sentiers éditoriaux largement battus et sélectionne des éditeurs indépendants : Ça et Là, Do, Le chemin de fer, Nada, L’échappée, La Fabrique, Héros-Limite, Futuropolis, L’employé du Moi, Anacharsis, le Passager Clandestin, La peuplade, Cent Pages, Mémoire d’encrier, Hors d’Atteinte, L’agrume, Libertalia, La contre-allée, Tusitala (qui vient de remettre à l’honneur un très beau texte de Georges Eekhoud)… « Les éditeurs que j’ai choisis, explique Dulia, sont des éditeurs qui me tenaient à cœur. Quand j’ai eu l’idée de ce projet, j’ai mis sur papier tous les éditeurs et éditrices dont j’aimais le travail, que je suis depuis des années, des coups de cœur personnels. » Des maisons d’édition issues de toute la francophonie, aux catalogues variés, qui proposent des essais engagés, de la BD créative, des livres d’art, de la fiction ou non, avec un soin particulier apporté à la mise en page et à l’objet-livre… : Dulia ne s’interdit aucun registre éditorial, pour peu que l’originalité soit de mise. « J’ai aussi envie de concentrer la soirée, l’attention du public autour d’une seule chose : le travail de l’invité. »

Ce travail de l’invité, comme nous avons pu l’observer avec Le quartanier, Dulia Lengema veille à le mettre en avant en insistant sur des aspects souvent méconnus de la profession : la politique éditoriale, l’identité que l’on veut donner à sa maison, les manières d’y arriver, le choix et le travail des manuscrits, les relations qu’ils génèrent avec les écrivains potentiels ou confirmés, mais aussi la diffusion et la distribution, les relations avec les graphistes, les imprimeurs, les libraires, les modes de communication vers l’extérieur, presse, lecteurs et lectrices, l’équilibre financier, la constitution pas à pas d’un catalogue, etc. Une manière pour les écrivains comme pour les lecteurs de découvrir les enjeux, difficultés croissantes mais aussi plaisirs du métier d’éditeur.

Gratuits, ces Mots d’éditeurs se déroulent selon la même formule, de 19h à 22h : présentation du lieu choisi, interview de l’invité.e, lectures d’extraits, échanges avec le public. Puis apéro pour continuer la discussion et vente de livres, voire dédicaces quand un auteur est présent.

Michel Torrekens


[1] Le site : https://www.globuya.com/FR/Paris/348597309000798/Les-Libraires-Volants et la page Facebook: https://www.facebook.com/Les-Libraires-Volants-348597309000798/


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 204 (2019)