Il y a cent ans naissait François Emmanuel. Malgré une biographie sommaire parue il y a quinze ans, il faut bien avouer que l’on a perdu la trace de ce romancier belge né entre vierge et verseau par un soir de panique en 1952. Quelques témoins oculaires affirment l’avoir croisé à Copenhague dans les années quatre-vingt, il cherchait alors le premier mot d’un phrase qui ne devait finir qu’avec son dernier souffle, un demi-siècle plus tard. Son goût pour les espaces, son inusable mélancolie fit de lui un vagabond de l’existence. On l’aperçut à Stary Sacz, St-Margaret’s Hope, Isola Delle Femmine, Quilon… Il s’appela successivement Maliewicz, Archie B. Song, Amedeo Seguzzi, Léonard Gründ…, sans que les services de la population ne s’émeuvent de ses identités multiples. Il est vrai que la Belgique était, avant qu’elle ne sombre, un pays déjà virtuel. Dans ses pérégrinations, il broda un lit d’amour pour Hanna, Alicja, Melody, Hyacinthe, Ann, Lisa, Chenga, Clara et bien d’autres. À ceux qui l’interrogeaient sur sa destinée, il se définissait comme un explorateur entêté, cherchant de nouveaux territoires dans un monde où les géomètres ont fait place nette. Les photographies de l’époque le montrent un peu de guingois, penchant vers minuit treize, un oeil ouvert sur la lumière, un autre sur les songes. Il traversa le rideau du visible dans les années trente, quelque part entre les Iles Lofoten et la Géorgie du Sud. Son exécuteur testamentaire fut un tailleur de pierre amnésique qui garda jalousement ses livres afin de choisir les mots qu’il graverait sur sa stèle de granit rose. On peut la visiter à Jamanchalinka, exactement, sur une des berges de l’Oural. Les livres sont perdus, l’inscription érodée, mais l’endroit ne manque pas d’atmosphère, surtout quand la nuit tombe et qu’au miroir du fleuve le ciel dispute à son reflet son bref théâtre d’ombres.
François Emmanuel
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°100 (1997)