Guy GOFFETTE, Géronimo a mal au dos

Le retour au père et au plaisir du texte

Guy GOFFETTE, Géronimo a mal au dos,Gallimard, 2013 ; La mémoire du cœur, Chroniques littéraires 1987-2012, Gallimard, 2013

Le père est figé là, dans le salon qui ne servait guère qu’aux communions solennelles, à la Saint-Nicolas pour les petits-enfants et aux fêtes de Nouvel An, le père est figé là, dans sa bière, le couvercle scellé. Dans cette même pièce mortuaire, un peu en retrait, se tient Simon Sylvestre ; il regarde sa mère tenir son rôle de veuve, observe les visiteurs venus déposer leurs condoléances, partage quelques instants, parfois tendus, avec ses frères et sœur. Pour cette funèbre occasion, il est revenu de ses échappées (entamées, dès l’enfance, par les livres), de ses amours multiples. Ce retour en territoire paternel lui réservera de nombreuses surprises. Devant le cercueil, dans la maison, aux alentours, les émotions vont le prendre, les souvenirs émerger et recolorer le passé d’une façon inédite. Il va découvrir un père qu’il ne connaissait pas, différent de celui qu’il avait (mal) aimé ; haï, fui. Il va comprendre que cet homme redouté lui portait un amour insoupçonné et saisir les leçons autrefois assénées. A coup de gifles sur son visage d’enfant et d’adolescent, gifles imprimées à tout jamais dans sa mémoire rougie. Peut-être qu’elles étaient la seule façon possible pour lui de s’exprimer – à part le silence, les paroles brèves, et les expressions populaires qu’il n’employait pas toujours à bon escient. La plus fameuse d’entre elles, nous l’avions découverte dans Une enfance lingère, prix Rossel 2006 : « Ici, on n’est pas né le cul dans la soie. » Les lecteurs assidus de Guy Goffette l’auront déjà compris, Géronimo a mal au dos poursuit le cycle débuté en 2001 avec l’inoubliable Un été autour du cou. On y retrouve Simon Sylvestre – le double romanesque de l’auteur –, sa famille, son petit village de Lorraine belge. On prolonge l’exploration de ses jeunes années, même si le passé récent et le présent y occupent une place importante. Bien que la trame narrative n’y soit pas, cette fois, tissée par ses aventures féminines mais par les relations père/fils, on peut toutefois y lire un très beau portrait de sa mère et de sa grand-mère. Plus emprunt de gravité que ses prédécesseurs, voire d’une certaine solennité (de circonstance), comme eux cependant, ce roman regorge de scènes truculentes écrites avec humour et tendresse. Ainsi le jour où Simon a cru s’égarer en forêt alors qu’il n’était qu’à deux cents mètres de l’orée du bois. Ou cette autre fois où il a été renvoyé du collège et qu’avec ses parents il a été convoqué chez un proviseur très « Nestcepasmadâme ».

De tels épisodes typiques de son art narratif, il n’en sort pas que de la plume romanesque de Guy Goffette. La mémoire du cœur, son recueil de notes, préfaces et autres chroniques littéraires parues entre 1987 et 2012, notamment dans La Nouvelle Revue française, ne contrevient pas à cette fertile et généreuse verve. Si Guy Goffette n’y livre pas de péripéties nées au cœur de son enfance mal guérie ou de son amour pour les femmes, il raconte celles arrivées à ses compagnons de littérature vivants (Jean-Claude Pirotte, Pierre Michon…) ou morts (Arthur Rimbaud, Michel de Ghelderode…), connus (Stendhal, Prosper Mérimée, Paul Claudel…) ou méconnus (Georges L. Godeau, Paul de Roux…), belges (Henry Bauchau, Anne-Marie Kegels, Marie Gevers…), français (Ludovic Janvier, Henri Calet…) ou d’ailleurs (John Updike, Flannery O’Connor, Thomas Bernhard…). En lisant ces textes dont certains ne sont pas sans rappeler les récits parus dans la collection « L’un l’autre » (Verlaine d’ardoise et de pluie, Elle, par bonheur et toujours nue, Auden ou l’œil de la baleine), on se dit que pour comprendre de façon si profonde les méandres de leur création, Guy Goffette a non seulement passé de longues heures à lire ses aînés et ses pairs, mais aussi qu’il a devisé avec eux lors de folles nuits d’alcool, d’insomnie et de confession. De littérature. Car, au final, la plus belle leçon de ce recueil est qu’il nous rappelle que la littérature n’est pas un loisir, pas une affaire d’école de commerce (même si son économie n’est pas à nier) mais une manière unique d’exister. « De participer à l’élan vital du monde ». Pour les auteurs, mais aussi pour les lecteurs. Qui y apprennent à vivre, à aimer, à mourir. Avec plaisir.

Michel Zumkir


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 176 (2013)