Thomas Gunzig : manuel d’un parfait cinéphile

Thomas Gunzig

Thomas Gunzig

Les romans et nouvelles de Thomas Gunzig font la part belle au cinéma, tant par les références au septième art que par une construction des récits proche des récits cinématographiques. Le romancier est également devenu scénariste. Bientôt sortira le film de Jaco Van Dormael dont il a écrit le scénario. Mais Thomas Gunzig est également auteur de théâtre. Il parle ici de ces trois arts narratifs.

Vous avez toujours été un grand cinéphile. Quels sont les films qui ont marqué votre démarche d’écrivain?

J’ai apprécié beaucoup de films très différents. Le cinéma américain, des films comme Taxi driver, Rocky, Apocalypse now, Jaws, les vieux Spielberg. Evidemment aussi les films d’épouvante, j’en m’en suis déjà expliqué. Egalement le cinéma asiatique, les films d’arts martiaux, avec une préférence pour les Bruce Lee. Et puis il y a également des films plus expérimentaux et le cinéma français des années 60-70, Jean-Luc Godard, avec Pierrot le fou, A bout de souffle, Alain Resnais et Mon oncle d’Amérique. Ainsi que les vieux policiers de Verneuil. Mais ça peut être aussi Les bronzés.  Pour moi, tous ces films se regardent, se nourrissent l’un l’autre et fonctionnent très bien ensemble.

En quel sens ont-ils influencé votre démarche d’écrivain ?

L’enthousiasme d’un bon film est communicatif et donne envie de créer soi-même, que ce soit en littérature ou au cinéma. Quand je sors de la vision d’un film qui m’a enchanté, j’ai envie d’écrire très très vite quelque chose. La vision de films m’ouvre sur des imaginaires, me montre qu’à l’imaginaire il n’y a aucune limite et qu’on peut partir dans toutes les directions possibles ; que le roman comme le cinéma sont susceptibles de faire découvrir des univers émotionnels qu’on ne soupçonnerait pas, de faire voyager à l’intérieur d’individus étranges, particuliers, de découvrir des tas de choses. J’ai même du mal à faire une différence entre cinéma et littérature.

Quel aspect de vos livres les films que vous avez vus influencent-ils plus précisément : l’organisation de votre récit, l’atmosphère que vous voulez suggérer ou les types de personnages ?

Les trois certainement. A force de voir des films et d’aimer ça, je pense à l’image, je pense les romans et les nouvelles en termes de mise en scène, avec des scènes d’ouverture, des scènes d’articulation, avec même quelque fois, comme dans Kuru, des ralentis ou des accélérés. Mon amour du cinéma m’a fait avoir une écriture qui est orientée très fortement sur l’image et sur le visuel. Je suis volontairement influencé par le cinéma.

Dans votre écriture, y a-t-il eu une évolution suite à une perception nouvelle que vous auriez eu du cinéma ?

Oui. Tous les auteurs sont influencés en permanence par ce qu’ils voient, et donc la façon dont le cinéma évolue en modifie ma perception et cela se marque sur l’écriture de mes romans.

Vous donnez des cours sur la mise en récit. Comment percevez-vous la différence entre la mise en récit cinématographique, puisque vous avez fait du cinéma, et votre travail d’écrivain ?

Dans le cinéma, il y a des contraintes narratives dues au fait d’un film dure un temps précis. Contraintes qui n’existent pas dans le roman, qui ne doit pas durer un temps déterminé. Le spectateur, lui, est captif du film, il est censé le regarder d’une traite en 1h40 ou 2h15, du moins en salle car les technologies actuelles permettent de le regarder chez soi en tranches. Cette contrainte de temps nécessite de mettre en place des structures narratives qui sont assez rigoureuses. Dans un scénario, il faut rester vigilant à toutes sortes de questions de rythme et de densité du récit. Il n’y a pas de ventre mou possible, il n’y a pas de digressions possibles en tout cas. Là où en littérature il est permis de partir sur des chemins de traverse, dans les films classiques du moins, on ne peut pas le faire. Il y a donc des choses qu’on ne peut pas se permettre au cinéma mais bien en littérature.

Mais la contrainte de temps est intéressante : gérer 1h40 de récit. C’est la même chose au théâtre où le temps est également déterminé (sauf si on écrit Le Soulier de satin). La pièce fait 1h 1h30 et l’auteur doit tout mettre dedans. Cela implique un indispensable travail d’élagage, de choix, de renoncement, de réflexion sur l’efficacité du récit et sur la structure. Il est nécessaire que tout soit clair, que le spectateur, lui aussi captif, comprenne ; il faut donc bien gérer les émotions qui passent dans ce qu’on raconte. L’auteur de théâtre ou de scénario a moins droit à l’erreur que le romancier. Dans un roman, les erreurs se voient moins et moins vite, elles sont également pardonnées plus facilement. Dans un film, l’erreur se voit d’emblée, et ça ne pardonne pas du tout. Et puis il y a aussi une responsabilité financière. Au cinéma, tout coûte de l’argent et donc rien ne peut être inutile ; dans un roman l’épisode inutile ne coûte rien.

Avez-vous travaillé pour le cinéma ?

Oui, j’ai fait des scénarios, mais pour l’instant rien n’est sorti. Des projets n’ont pas abouti par difficulté de réunir un financement suffisant. Mais dans quelques mois sortira le film de Jaco Van Dormael, Le tout nouveau testament, dont j’ai écrit le scénario. Le tournage est terminé, on est au stade du montage. 

Avez-vous écrit des adaptations ?

J’ai commencé l’adaptation de Silence de Comès, mais la maison de production a fait faillite. C’était un projet intéressant qui posait beaucoup de questions. On pensait faire un film d’animation. La première difficulté était qu’on était confrontés au problème de l’incarnation des personnages de bande dessinée, leur voix, leur regard. Et la difficulté était d’autant plus grande que Silence est un univers graphique très fort. C’est dommage que cela n’ait pas pu aboutir suite à des problèmes financiers. J’ai aussi fait une adaptation pour un court métrage, L’héroïsme au temps de la grippe aviaire, mais je ne l’ai jamais vu terminé.

Avez-vous reçu des demandes d’adaptation de vos romans ou nouvelles ?

Oui, pour Manuel de survie, un réalisateur français s’est manifesté. D’autres l’ont fait pour Kuru et pour Mort d’un parfait bilingue. Mais ils n’ont pas pu trouver des producteurs, car ces livres ont un côté bizarroïde et la réalisation risquait de coûter cher. Ce sont deux critères qui ne plaisent pas trop aux producteurs.

Dans plusieurs de vos romans, dont Manuel de survie, le rythme de narration est très proche du cinéma. Cela ne suffisait pas pour convaincre un producteur ?

Les producteurs sont débordés de bons scénarios et de bons romans qui pourraient être adaptés. C’est une question de chance de voir un livre adapté. D’avoir travaillé pour le cinéma, je me suis rendu compte qu’il y a tellement d’obstacles pour qu’un film voie le jour.

Parmi vos textes, quel est celui que vous voudriez voir adapté ?

Celui que j’aimerais adapter moi-même, c’est la nouvelle « La vache ».

Est-ce possible quand on est l’auteur du texte de départ de faire soi-même l’adaptation ?

Il faut surtout pouvoir se trahir soi-même. J’aurais un autre regard sur cette nouvelle et je voudrais y mettre autre chose.

Que laisserez-vous tomber ou qu’ajouteriez-vous ?

Je la ferais moins crue, plus douce, plus poétique. Et comme je pense qu’en vieillissant, bizarrement, j’ai besoin d’amour, je ferais une fin heureuse.

Est-ce que le fait d’avoir travaillé pour le cinéma a changé votre manière d’écrire des romans ? Prenez-vous en compte d’autres aspects ou d’autres manières de faire ?

Oui, parce je me suis formé, j’ai lu un peu de théorie, j’ai été voir ce que disaient les grands théoriciens du scénario. Et même si ces textes traitent de cinéma, ce sont des choses qu’on peut transposer d’une manière ou d’une autre à la littérature. Le fonctionnement d’un personnage ou d’un scénario, les techniques d’exposition d’un personnage, sont des choses qui peuvent ne pas servir du tout en littérature mais qui peuvent aider quand on patauge dans l’écriture d’un texte. Je me rends compte que tous les auteurs actuels sont influencés par le cinéma. On n’écrit plus aujourd’hui comme avant son apparition. Mais d’autre part, le cinéma se nourrit de la littérature. Ce sont deux arts narratifs qui se regardent, se nourrissent l’un l’autre et cheminent de concert.

Quel texte, qui n’est pas de vous, souhaiteriez-vous porter à l’écran ?

Si le budget est illimité, qu’on a du temps et des comédiens formidables, je réaliserais Le comte de Montecristo. C’est un de mes romans préférés, et j’ai vu l’adaptation scandaleusement mauvaise dans laquelle joue Depardieu. Cette déception me pousse à vouloir rendre justice en adaptant ce texte. Qu’est-ce que ce roman est génial et qu’est-ce qu’on pourrait en faire quelque chose de formidable ! C’est vraiment le Star War du XVIII ème siècle. C’est toute l’histoire de France qui y passe, mais aussi l’intrigue, la vengeance, et une galerie de personnages incroyables. Il faudrait en faire quelque chose d’ambitieux comme Le Seigneur des anneaux. Le récit est magnifiquement construit et les personnages sont ultra forts. Et cette intrigue, cette histoire d’une vengeance qui est tellement énorme qu’elle finit par en dépasser l’artisan ; il sent que ça va trop loin, que ce n’est pas cela qu’il veut ! C’est aussi une terrible histoire d’amour, montrant la grandeur et la misère de la bourgeoisie post révolutionnaire.

Vous avez participé à la création de la pièce Kiss & cry qui mêle théâtre et cinéma. Que reste-t-il de la différence entre ces deux arts créatifs ?

Le théâtre est plus basé sur le texte, même si maintenant il y a d’autres outils et qu’on assiste à des hybridations comme dans Kiss & cry. Et d’autre part, le théâtre reste du spectacle vivant, tout est à refaire tous les soirs, ce n’est pas quelque chose d’enregistré. Dans le cinéma, enregistré, il y a l’idée que l’œuvre est unique ; au théâtre l’œuvre n’est jamais unique. C’est ce qui fait son côté excitant.

Joseph Duhamel


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 185