Xavier Hanotte, Des feux fragiles dans la nuit qui vient

Hanotte nouvelle manière

Xavier HANOTTE, Des feux fragiles dans la nuit qui vient, Belfond, 2010

hanotte des feux fragiles dans la nut qui vientDes feux fragiles dans la nuit qui vient représente un changement important dans la production de Xavier Hanotte. L’écrivain abandonne le récit en je, ce qui lui permet de construire une histoire comportant différentes voies qui offrent autant de points de vue sur la même matière de récit. Et si l’expression des sentiments et des réflexions des protagonistes n’est pas absente, les personnages s’expriment avant tout par leurs actes et par la confrontation des perceptions dans la discussion. De nombreux éléments échappent ainsi à la conscience du personnage principal. Pour X. Hanotte qui aime jouer de la suggestion et du non-dit, cette option d’une narration en il permet de ne pas en dire trop tout en laissant le lecteur établir les liens qui donneront sens au roman.

Le récit invente ses lieux imaginaires et l’époque est imprécise. Par la mise en scène de problématiques très contemporaines, comme le terrorisme ou la radicalité d’une idéologie qui veut détruire toutes traces du passé, le roman est néanmoins on ne peut plus actuel.

Puisque la lecture consiste à établir des ponts entre les diverses strates du roman, résumer celui-ci est très réducteur. L’Île, anciennement puissante, est devenue une province oubliée, ravagée par un conflit dont la nature et les enjeux ne seront jamais exprimés de façon claire. Cette guerre trouve vraisemblablement son origine au Moyen Âge. Comment peut-elle encore influencer la période actuelle ? Deux interprétations, relevant chacune d’un aspect du réalisme magique, sont simultanément possibles : la répétition dans l’éternel retour, ou le raccourci par superposition qui abolit la distance entre des époques éloignées (des faits datant du Moyen Âge sont encore neufs aujourd’hui). Le lecteur a le choix de son interprétation.

Le roman s’attache à Pierre Berthier, lieutenant de réserve dans l’armée régulière, qui doute de son engagement ; par la confrontation à un soldat rebelle, il se découvre une obligation à agir. Ce schéma de l’hésitation que l’on dépasse se retrouve également dans l’intrigue amoureuse.

Le roman creuse des problématiques déjà abordées précédemment, essentiellement la problématique du mal. En effet, la rébellion au nord de l’Île trouve paradoxalement son fondement dans un désir de pureté : « l’absolu Mal se cache en l’absolue Pureté ». C’est ce que montre un texte hagiographique imaginaire du Moyen Âge, La relève de saint Olaf.  Pourquoi ce titre ? Olaf comprend la limite de son action et prophétise l’arrivée d’une relève. Celle-ci se produit à la fin du roman, mais en des termes complètement renouvelés. Il est intéressant de voir comment l’évocation de l’arrivée d’une armée moderne mêle en la transformant la description moyenâgeuse et les réalités contemporaines. Dans ce cadre, l’auteur propose une intéressante figure de sauveur laïque en la personne d’un médecin-major. Un des plaisirs de la lecture est de voir comment les références bibliques sont disséminées et transformées.

Se pose dès lors la question de la croyance. Un colonel des services secrets pose la même question à ses divers interlocuteurs : « Êtes-vous croyant ? ». Mais Hanotte joue à cache-cache. Cette interrogation est à chaque fois banalisée, détournée, tout en n’étant pourtant pas évacuée. De façon générale, le roman présente d’ailleurs d’étonnantes figures autour de la notion de question, celle que l’on pose ou non, celle à laquelle on répond ou non. Et chaque personnage se situe autrement dans cette configuration.

L’ambiguïté et la contradiction sont au cœur de l’esthétique de l’écrivain. L’idée que le Bien est ambigu s’exprime dès lors pour chacun des protagonistes par un paradoxe qui le résume, et dont le texte développe chacun des sens : ainsi, le colonel ne peut sauver qu’en se damnant soi-même, ce qui donne un relief particulier à sa question sur la croyance.

Récit de l’attente, récit de l’ambigu, récit du mystère (par exemple, on ne sait pas ce qu’est l’arme redoutable découverte en terre rebelle). Mais autant à un capitaine des forces spéciales qu’au lecteur, « les clefs de toutes les questions » sont données. À voir quelles portes elles ouvrent.

Joseph Duhamel


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°163 (2010)