Xavier Hanotte, La nuit d’Ors

La nuit d’Ors

Xavier HANOTTELa nuit d’Ors, Castor astral, 2012

hanotte la nuit d orsL’oeuvre de Xavier Hanotte est indissociable de la guerre 14-18 et de l’oeuvre du poète anglais Wilfred Owen. De la première, il a peuplé plusieurs de ses romans et nouvelles, y donnant des échos plus modernes çà et là. Du second, dont il est le traducteur, plane régulièrement l’ombre d’une poésie qui fait figure de botte secrète et dont il extrait les vers çà et là. Et voici qu’il nous donne une pièce de théâtre qui réunit les deux dans une mise en scène de l’extrême. Cette fantaisie dramatique en trois tableaux nous mène sur le front à quelques jours de l’armistice, dans le grondement des canons, juste avant le lancement d’une opération militaire de la dernière chance à laquelle on a peine à croire tant l’irrationnel des combats apparaît à tous. Un pont de fortune doit être jeté sur le canal Sambre-Oise pour surprendre l’ennemi et l’on attend les flotteurs qui permettront de mener l’opération à bien.

C’est dans ce moment où le temps est suspendu qu’arrive le sapeur Smith avec un ordre de mission. Il se signale, mais il est surtout intéressé de rejoindre le poète, ce Lieutenant Owen dont il a lu et connaît l’oeuvre. C’est cette rencontre entre le lecteur-admirateur et son auteur qui constitue le centre de l’intrigue. Car leur confrontation se passe dans un moment propice aux aveux où la poésie fait figure de refuge tant pour le lecteur que pour l’auteur. Smith n’a pas froid aux yeux : il va droit au but et interpelle Owen sur son rapport au réel alors que celui-ci s’apprête à écrire une lettre à sa mère, pour la rassurer. Et de l’interroger sur le sens de la vie et sa pratique de l’écriture dans le vif de la guerre. Suspendu par l’apparition d’un autre militaire, le dialogue reprend comme il avait débuté, sans détour aucun, oscillant entre naturel et irréel –
l’oeuvre d’Owen n’a pas été publiée. Tout ici prend des allures de transition entre la vie et la mort, ce
fleuve à franchir cher aux Étrusques. Cet entretien est l’ultime, il réunit le Lecteur et l’Auteur dans un face à face essentiel. Les masques sont jetés et la grandeur du propos contraste avec le sordide de la situation que tempèrent l’humour et la bonhomie british des personnages. Le caractère militaire du moment demeure au second plan, même si la menace est proche, ne restent que les hommes, la fraternité qui leur tient lieu de famille. Tout y est, fond sonore et mots d’ordre de scène, avec une sobriété qui colle bien à l’objet. Ce petit monde ne demande qu’à prendre forme pour illustrer sous un visage neuf les thèmes les plus chers à l’auteur. Il ne reste qu’à monter l’oeuvre…

Thierry Detienne


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°172 (2012)