Xavier Hanotte, L’architecte du désastre

Capter le bonheur fugace

Xavier HANOTTE, L’architecte du désastre, Belfond, 2005

e57d0c8658Qu’est-ce qui fait courir Xavier Hanotte sur les champs de ba­taille et dans les bibliothèques, à la recherche de documents le plus souvent insolites ? D’où vient cette fas­cination pour les hommes des tranchées de 14-18, pour ces militaires aux portes de la mort ? Ce ne peut être le voyeu­risme ou la recherche de la sensation, cela se lirait dans ses textes. Sans doute faut-il chercher plus loin ou, mieux, plus profond. Ainsi en est-il dans ce re­cueil de « romans courts et nouvelles » par lequel il renoue avec des thèmes déjà explorés tout en ouvrant de nou­velles perspectives.

L’architecte du désastre, long récit li­minaire, conte la mission d’un jeune gradé allemand chargé d’évaluer l’inté­rêt historique d’un monument érigé à la mémoire des victimes militaires des pre­miers gaz utilisés en 14-18 et que ses su­périeurs voudraient voir disparaître. Mais de technique, l’aventure devient surtout intérieure dans la mesure où elle sert de prétexte à revenir sur le passé à la recherche des moindres souvenirs d’un amour inabouti et perdu sous les bombes… allemandes. Mais déjà la jux­taposition de plusieurs narrations multi­plie les points de vue. Nous voici dans les combats de tranchées de 14-18 aux côtés d’une compagnie anglaise qui y perpétue le rituel du thé, puis aux côtés de troupes alliées qui découvrent les subtilités linguistiques belges. Voilà pour « Les temps enfouis », première partie du recueil, que suivent « Les temps poreux », lesquels nous permet­tent de retrouver Barthélémy Dussert et sa mystérieuse comparse Trientje. Dans la banlieue de Bruxelles, ils sont postés à proximité d’un lieu de rendez-vous sup­posé de trafiquants maffieux. Juste avant de faire un saut sur Bassorah aux côtés de soldats impliqués dans les forces de l’ONU et en proie au doute sur leur rôle en ce conflit confus aux re­lents de pétrole. Retour sur Barthélémy Dussert à la recherche de la maison de Wilfried Owen. « Les temps présents » et leurs trois textes restent dans le judi­ciaire avec des points d’interrogation aux consonances actuelles : la défense en justice d’un grand pédophile, les mystères d’une enquête, le poids du mé­tier de flic.

De cet assortiment de récits aux appa­rences hétéroclites sourd une musique identique. Par-delà les uniformes, les lieux et les dates, on y croise hommes et femmes aux destins noués. Car c’est dans les moments de tensions et de dan­ger que les caractères se révèlent : en l’espace de quelques secondes, des exis­tence défilent, des doutes pointent et des consciences sursautent, revenant aux questions de toujours sur l’amour, le pouvoir, la fureur des combats, et, sur­tout à la fugacité et la fragilité du bon­heur. Ici encore, Xavier Hanotte saisit les pépites de vie avec une justesse rare reliant dans le plaisir du conte le parti­culier et l’universel, la gravité et la déri­sion et, surtout, la passion des mots.

Thierry Détienne

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Article paru dans Le Carnet et les Instants n°139 (2005)