Xavier Hanotte, Soit dit entre nous, je suis un ours

Autoportrait de l’auteur en animal plantigrade

Xavier HANOTTE, Soit dit entre nous, je suis un ours, ill. Muriel Logist, Castor astral, 2012

hanotte soit dit entre nous je suis un oursDepuis son roman Ours toujours (Belfond, 2005), on savait que Xavier Hanotte filait une amitié particulière et littéraire avec les membres de la famille ursidée. Ceux-ci très ours, un peu humains ; celui-là très humain, un peu ours. Cela se confirme avec ce nouveau livre illustré avec finesse et humour par Muriel Logist, un autoportrait sous forme d’abécédaire paru dans la série « Soit dit entre nous » de la collection « Escales des lettres » où des auteurs se livrent « de A à Z sans rien cacher ». On y avait déjà lu les « confidences, réflexions (im)pertinentes et souvenirs » de Corine Jamar et de Philippe Blasband mis en dessin par, respectivement, (déjà) Muriel Logist et Frédéric Fonteyne. C’est maintenant au tour de Xavier Hanotte de s’y révéler. D’une manière qu’aimeront les amateurs de ses romans à prétexte policier et de sa poésie « d’herboriste amateur ».

Une manière pudique et discrète – l’ours écrivain n’est ni Christine Angot ni Amélie Nothomb et ne fait pas de révélations fracassantes. On sait à peine qu’il a une faiblesse pour les petites dames blaireaux. Dans cet autoportrait aux quelque quatre-vingt entrées (d’Animaux à Zouave), l’auteur revient tremper ses pattes dans le pot de miel de son enfance, terreau sucré de sa vie mais aussi de son œuvre, de son attirance pour les guerres – ses deux grands-pères se sont connus pendant le deuxième conflit mondial, et leurs enfants se sont rencontrés par la suite pour donner naissance à celui qui n’aura de cesse de questionner l’existence. Pour mieux l’interroger, il pose un regard décalé, étonné, parfois désenchanté sur le monde, l’espèce humaine, sur son œuvre et la littérature. L’alphabet étant bien fait, c’est au centre du recueil que figurent les mots Langue (défense de la pluralité des langues contre une quelconque suprématie du français), Lecteurs (une sorte d’ours qui n’est pas en voie de disparition), Librairies (là où, enfant, il rêvait de travailler), Littérature (tout fait farine etc.), Livres (les miens) (qui restent une énigme pour lui, même après celui-ci). Non pas à l’exact centre, disons plutôt à l’avant-centre. Même si ce n’est pas, on peut sans douter pour l’amoureux des chemins détournés et des fins suspendues, cette place offensive (dite du renard des surfaces, pour rester entre animaux de bonne compagnie) que l’auteur occupait sur le terrain de football – il était gardien de but, un poste qui convient mieux à l’ours des cavernes. S’il a fini par abandonner ce sport, c’est qu’un jour, depuis les gradins, il a vu la virilité – autant dire la connerie – en action. Cet exemple est frappant car il montre autant les valeurs de Xavier Hanotte – il préfère aux vainqueurs orgueilleux les perdants magnifiques – que la position de spectateur qu’il cultive, qui lui fournit matière à écrire.

Car, comme il le dit et ainsi qu’on l’a déjà suggéré, la littérature est un processus de transformation : tout ce qu’il observe – et il peut tout observer de « l’inclination de la rue qu’il emprunte [à] la nuance de bleu dont se pare le ciel au-dessus de sa tête » – est jeté ensuite « dans sa grande centrifugeuse de mots » pour en ressortir parfois pareil, parfois changé. L’imagination est aussi un outil à réformer la réalité, à la mettre à distance et la rendre supportable. Cette position une patte dedans/une jambe dehors, observateur/écrivain est symptomatique de son obsession du double. Car tout est (au moins) double dans son œuvre : le temps, les histoires, les lieux, les éléments thématiques… On peut aussi ajouter que chacun de ses personnages principaux à un double, comme si le vrai je était toujours autre. Ou l’auteur toujours un ours. Solitaire autant que solidaire. Misanthrope autant qu’humaniste. Un peu comme cet autre de chez nous, dessinateur autant que Chat. Oui, quelquefois, en lisant cet abécédaire, on pense à Philippe Geluck et à son personnage vedette – mais l’ours (d’) Hanotte n’est pas une star, la notoriété ne lui sied guère. On y pense à cause de leur goût commun de l’autodérision, de l’ironie, de l’aphorisme, de la citation (parfois détournée), du paradoxe, à cause de leur profonde légèreté et de leur légère profondeur. A cause d’un même sourire mélancolique qui nous reste sur les lèvres quand on referme leurs livres.

Michel Zumkir


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°174 (2012)