Prises de vue, prises de mots
Henri BAUCHAU et Werner LAMBERSY, Etés, Labor, coll. « Poteau d’angle », 1997
Werner LAMBERSY et Armand VIAL, La Magdeleine de Cahors, Labor, coll. « Poteau d’angle », 1997
Werner Lambersy, poète et prosateur, aime — parmi tant d’autres choses — les paysages, la photographie, comme le prouvent La Magdeleine de Cahors et Etés, deux livres qu’il cosigne, qui pourraient se ressembler mais différent assez radicalement dans leur conception.
La Magdeleine de Cahors regroupe quatre-vingts poèmes écrits pour s’accorder (non pour les commenter) aux quatre-vingts photographies prises par Armand Vial. Ils orientent le regard, entraînent une perception verticale de l’image (« Tu regardais la pente / Vers l’azur / Et le rameau fut la réponse »), ce qui rejoint les intentions du photographe qui souhaitait remettre en question « le paysage référence dûment marqué par l’horizontalité du monde, dans nos culture occidentales ». Ce dernier a réalisé ses prises de vue dans un lieu dit « La Magdeleine » à Cahors, sur un trajet de quatre-vingt kilomètres parcouru en marchant, divisé en quatre étapes de vingt kilomètres, de cinq photos, et répété aux quatre saisons. Avec lui, il trimbalait une lourde chambre photographique, appareil qui ne permet pas le mitraillage mais qui sied à la contemplation. Appareil qui traite la surface sensible comme Armand Vial son travail « avant tout comme nombre et mesure »… Nous, « lecteurs », voyons, avant tout, des surfaces de roche, de pierre, d’eau et d’arbres, des surfaces qui parfois frôlent l’abstraction, des surfaces planes, profondes de relief, de nervures, d’histoire(s). Des surfaces qui engendrent des mots, les poèmes de Werner Lambersy, si transparents et si polysémiques, qui parlent des/aux images, du/au poète, du/au photographe, de leur relation, des grandes et des petites choses du monde avec toujours l’ouverture nécessaire, engageante pour que nous aussi nous inventions nos textes ou que nous laissions notre esprit en liberté.
Si Armand Vial a beaucoup marché pour prendre ses clichés, Werner Lambersy et Henry Bauchau sont revenus systématiquement presque au même endroit et presque à la même heure pour écrire leurs journaux réunis sous le titre générique d‘Etés. Le premier sur (les bords de) la Vienne le matin, le second en Ardèche, au coucher du soleil. Ce choix — opposé — de lieux et de moments est conforme à la divergence de leur écriture. Henry Bauchau s’abstrait de lui-même autant que possible et « pêche des mots » pour dire les infimes mouvements des arbres, les minuscules variations du fleuve, la présence ou l’absence des oiseaux… Parfois grondent les bruits du monde — la guerre du Golfe se prépare — ou reviennent le hanter les personnages de ses romans (Antigone, Œdipe, Diotime). Werner Lambersy, quant à lui, écrit « à la fine pointe de l’aube » ce qu’il a emmagasiné, ce qu’il pense. Son texte foisonne, bouge. Il est aussi morcelé que celui de Bauchau est fluide.
Les avoir rassemblés dans un même volume déstabilise, trouble. Certains jours, l’un nous touche plus que l’autre, nous révélant nos extrêmes intérieurs, confirmant que la pluralité de l’écriture est tout aussi nécessaire que celle de la pensée. Ce que l’on tente parfois de nous faire oublier…
Michel Zumkir
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Article paru dans Le Carnet et les Instants n°99 (1997)