Corinne Hoex, Décollations

La bride sur le cou

Corinne HOEX, Décollations, L’Âge d’Homme, 2014

hoex decollationsCorinne Hoex s’est abandonnée à la fantaisie la plus totale dans ces Décollations hilarantes : poème, pochade, exercice de style et de haute voltige. Invention à multiples voix, de toute évidence, cet opus atypique exhibe une maîtrise réjouissante de la langue et des jeux lexico-sémantiques qu’elle permet à qui la connaît et la manipule à plaisir comme cette auteure. S’abandonner, dans son cas, n’est qu’une métaphore de plus pour tenter de caractériser sa démarche dans ce recueil très organisé d’une courte centaine de variations sur un thème unique.

C’est bien de perdre la tête qu’il s’agit dans ces décollations diverses. Voilà une expression toute faite que Corinne Hoex prend au mot, d’où le titre de son texte. De même qu’elle va inventorier toutes les occurrences du terme dans toutes sortes de contextes, les énonçant en séries lexicales ou, pour varier les plaisirs, en jouant sur les variations sémantiques d’un même lexème selon différents emplois, différents niveaux de langue, différents registres sociaux et poétiques. L’auteure relève aussi les dérives amusantes qu’entraîne ce cou coupé, de haut lignage, bride sur le cou, bien sûr. Soient la longue histoire des décapités les plus fameux et le cortège animé des céphalophores connus : infortune ou béatitude. Ne boudons pas notre plaisir à cette lecture. Corinne a le don des listes et grâce à une documentation étonnante peut nous énumérer tous les couvre-chefs que sans tête on ne portera pas, tous les plats auxquels on ne goûtera plus et les privations de tous ordres. Mais aussi comptabiliser les avantages de ce nouvel état, ce que l’on gagne finalement en perdant la tête, du temps, par exemple, pour vivre. Pour mieux vivre, car l’esprit demeure, lui qui est chevillé au corps, selon elle. C’est donc à une jouissance de tous les sens qu’elle nous invite dans cette suite virtuose de têtes manquantes en paroles gourmandes. Elle nous apprend que le peintre Lucian Freud peint la tête de ses personnages en dernier lieu. Il l’ajoute, en quelque sorte. Elle, en revanche, la sublime en l’envoyant se promener dans les nuages.

Jeannine Paque


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°181 (2014)