Jean Ray et Henry Bauchau à lire et écouter

baronian levie jean rayDeux beaux livres multimédias proposent de découvrir, autant par l’image que par le texte, deux auteurs majeurs.

Le Jean Ray de Jean-Baptiste Baronian et Françoise Levie est en fait la réédition de deux classiques. En 1964, Jean Antoine avait réalisé pour la RTB un film de 32 minutes, Jean Ray le ténébreux ; le scénario en avait été confié à Henri Vernes. Le film, en noir et blanc, est esthétiquement très réussi, parvenant à habiter et à recréer par l’image l’univers de Jean Ray. Des images nocturnes de Gand, où se déplacent d’étranges silhouettes, une causerie au coin du feu dans le bruit des bûches qui craquent ou devant une maquette de bateau ; et les fameuses images de Jean Ray dans la cage aux lions. On l’aura compris, le film prend pour argent comptant la légende de l’écrivain bourlingueur et trafiquant, offrant à Ray la possibilité de jouer à merveille le personnage qu’il s’est amusé à fabriquer. Et y croit, c’est bien fait et réellement convaincant. Pourtant, les images de la cage aux fauves ne permettent aucunement de préjuger d’éventuelles qualités de dompteur du Gantois.

Et donc, après le film, il est plus que souhaitable de passer au livre. Là aussi, un classique : Jean-Baptiste Baronian et Françoise Levie avaient publié en 1981 Jean Ray, l’archange fantastique. Délaissant la notion d’archange fantastique, les auteurs ont revue complètement l’ouvrage, réécrivant l’introduction, repensant la chronologie biobibliographique et surtout réunissant une riche et superbe iconographie en couleur. La précision du livre valide donc la légende que le film feint d’accepter. Mais c’est pour raconter une histoire vraie, celle d’un inlassable inventeur de récits de toutes sortes qui ont marqué des générations de lecteurs. N’oublions pas qu’Alain Resnais avait quasi finalisé une adaptation des Harry Dickson au cinéma. LA courte étude ouvrant le volume synthétise les influences et les caractéristiques de l’art du Gantois magnifique.

watthee delmotte henry bauchau la parole precaire

Le DVD Henry Bauchau, la parole précaire reprend la lecture de Boulevard périphérique que Michael Lonsdale et Frédéric Dusenne ont faite lors du Marathon des mots 2008, un entretien entre Bauchau et Jean-Luc Outers, ainsi qu’une courte lecture par l’écrivain de L’enfant bleu. Le livre est quant à lui une contribution du Fonds Henry Bauchau de l’UCL : documents photographiques, correspondance, manuscrits, dessins, ainsi que des textes retraçant le parcours esthétique de Bauchau. Myriam Watthee-Delmotte résume la problématique de l’œuvre par la notion de précarité : « Précaire, du latin precari, veut dire : obtenu par la prière, donc permis par une puissance supérieure, donc susceptible d’être retiré, par conséquent fragile et pauvre ». On retrouve là un des principaux axes de l’écriture de Bauchau : le rapport à diverses formes de l’autorité – le père, le roi ; un autre est la figure de la mère. Mais, surtout, la précarité qualifie cet usage particulier de la parole qu’est la poésie, exigence vitale et archétype de toute la démarche littéraire de Bauchau.

Le livre s’attarde spécialement sur Le boulevard périphérique, roman qui est « acte de mémoire » en ce qu’il revient sur « la difficile matière, passée sous silence jusqu’alors, de la Seconde Guerre mondiale ». Roman qui valorise aussi les liens familiaux et fait « un pari sur la solidarité » qui n’est d’ailleurs pas que littéraire.

Ces coffrets sont de beaux objets pour (se) faire plaisir. Ils peuvent aussi être utilisés dans une perspective pédagogique. En s’attardant, pour le Jea Ray, sur l’esthétique ancienne du film et de l’iconographie, en étudiant la performance de Ray ; en découvrant comment Bauchau se livre dans l’intimité de l’entretien, en écoutant deux grands comédiens souligner les articulations du texte.

Joseph Duhamel

Jean-Baptiste BARONIAN, Françoise LEVIE, Jean Ray, La maison d’à côté, 2010
Myriam WATTHEE-DELMOTTE et al., Henry Bauchau, la parole précaire, La maison d’à côté, 2010 


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°161 (2010)