Armel Job, Le bon coupable

Mauvaises consciences

Armel JOB, Le bon coupable, Robert Laffont, 2013

job le bon coupableSeizième roman d’Armel Job, Le bon coupable se situe, dans la meilleure tradition simenonienne, entre polar et roman psychologique, avec un penchant résolu pour le second terme. L’enquête, en effet, s’y joue plus dans les méandres de l’âme humaine que dans les couloirs d’un commissariat ou d’un palais de justice. Et elle concerne chacun des protagonistes de ce récit qui débouche vite sur un fait-divers dramatique.

Le cadre des événements (par ailleurs pays natal de l’auteur) : la belle et sinueuse vallée de l’Aisne aux confins de l’Ardenne et de la Famenne. Tout commence un dimanche matin de l’été 1960. Ce recul dans le temps n’est pas gratuit puisque, selon Job lui-même, le roman s’inspire des sensibilités de l’époque, différentes à bien des égards, de celles d’aujourd’hui. Un grand calme règne dans le village de La Malemaison, à l’heure où les femmes sont pour la plupart à la messe et les hommes pour la plupart au bistrot. La petite Clara Labasse, dix ans, fille d’un carrossier et d’une cantatrice, traverse la route nationale pour se rendre à l’atelier où son père s’est réfugié après une banale dispute conjugale. Elle est renversée par une voiture qui rejette son corps sans vie sur un seuil de porte. Le chauffeur ne s’est pas arrêté. L’accident et le délit de fuite criminel mettent en émoi la population locale. Tout semble accuser le sexagénaire Carlo Mazure, patachon patenté et chevillard pas net du tout, qui a fini par échouer avec son break et son van dans les eaux de l’Aisne. C’est là qu’on l’a retrouvé commotionné et inconscient, cuvant ses beuveries nocturnes « soignées » au matin par une enfilade de six trappistes de Rochefort…

Ensuite, mais plus tard que le lecteur, le juge liégeois Ramelot, chargé de l’instruction, s’avisera qu’une autre voiture roulant à tombeau ouvert a emprunté la même route et à la même heure. Toutefois l’identité du conducteur semble le placer au-dessus de tout soupçon puisqu’il s’agit de Régis Lagerman, procureur du Roi à Liège et ami du juge. C’est d’ailleurs de chez Ramelot qu’il revenait d’une partie de chasse (moyennant un détour chez sa maîtresse à Liège) pour regagner son domicile de La Malemaison. Mieux : c’est à lui, supérieur hiérarchique, que le juge doit en référer à propos de l’affaire Clara Labasse. Quant à l’incertain Carlo Mazure, il déclare – saoulerie et commotion aidant – avoir perdu la mémoire de tout ce qui a précédé son plongeon dans l’Aisne.

Qui de ces deux possibles suspects sera le « bon coupable » ? Si l’on s’en tient à la matérialité des faits, pour le lecteur, le doute est dissipé bien avant le dénouement du livre dont le champ et les subtilités se situent au-delà de cette question de simple police. C’est là que se manifeste le plus clairement l’empreinte – d’ailleurs revendiquée par Armel Job – de l’œuvre romanesque de Simenon. L’énigme fondamentale ne réside pas dans les faits eux-mêmes, mais bien, comme on l’a dit, dans le secret des âmes. Celles des deux coupables potentiels, mais aussi de tout un entourage aux prises avec ses rêves et ses frustrations, avec ses motivations profondes, avec les fantômes du passé, avec sa conscience et ses culpabilités. Qu’il s’agisse des parents de la petite Clara (qui l’adoraient et se reprochent la dispute qui l’a poussée à se rendre ce dimanche matin à l’atelier paternel), de son frère Franz dont elle était l’idole, du juge d’instruction Ramelot ou des femmes qui interviennent à des titres divers dans la vie de Régis Lagerman et de Carlo Mazure. Tous placés sous le patronage de la devise déployée en banderole dans les ex-libris du grand Georges : « comprendre – ne pas juger ». Ce qui, bien entendu, n’empêche pas Job d’installer, comme le suggère l’éditeur, une « nouvelle et déconcertante parabole du pharisien et du publicain ».

Mais quel que soit le fin mot de l’enquête, c’est bien, en fin de compte, le statut personnel (celui d’une haute fonction ou celui d’une mauvaise réputation), le poids du vécu, une certaine conception de l’honorabilité, de la responsabilité ou de la culpabilité, les voix du remords aussi, qui, dans le chef des deux suspect, brouilleront étrangement les cartes de cet excipient de la vie en société appelé « vérité judiciaire ». Peut-être trouve-t-on aussi une des clés du roman dans son exergue qui en appelle à Kierkegaard et à son Journal d’un séducteur : « Une mauvaise conscience peut rendre la vie intéressante ». Comme elle peut aussi douer un roman d’un intérêt particulier.

Ghislain Cotton


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°176 (2013)