Bonheurs d’écriture sur fond de guerre
Armel JOB, Le commandant Bill, Mijade, 2008
Ce récit d’Armel Job – écrit il y a trois ans puis oublié parce que « différent de ses autres romans » – débute en mai 40. Les habitants du hameau ardennais de Boisferté se sont réfugiés dans la forêt. Un avion allemand s’écrase près de leur campement. À son bord, deux aviateurs. L’un succombera à ses blessures, mais l’autre, Werner, en réchappe avec une jambe cassée. Les villageois, bien malgré eux, deviennent ainsi responsables d’un prisonnier de guerre. En l’absence des gendarmes, la population est passée sous l’autorité de Jules Malemprez, son patriarche. C’est lui qui décide qu’il reviendra à Louisa, la sage-femme, et à la jeune Eva, de s’occuper au jour le jour de l’ostrogot enfermé dans une grange à l’abandon. Les jours passent, on espère le retour des « soudards », mais les jeunes ne reviennent pas… Enfin, Cadet, le fils de Jules, revient à Boisferté et entend bouleverser le semblant d’ordre qui y règne. Fort de son expérience sous les ordres du charismatique commandant Bill, il s’autoproclame chef et entreprend de faire disparaître toute trace de l’avion. Et également du prisonnier, ce jeune soldat perdu dans la forêt des contes de Grimm, de qui sa sœur Eva est tombée amoureuse. Pour arriver à ses fins et se débarrasser de l’ennemi, il ira jusqu’à la séquestrer… Quand deux sidecaristes Allemands arriveront au village à la recherche de l’avion et poseront des questions, tous se tairont. C’est le major Lefort, officier de réserve et linguiste de Fribourg, qui reprendra l’enquête…
Armel Job connaît bien le terroir ardennais et y a déjà ancré plusieurs livres. Dans celui-ci, il restitue, avec une précision quasi ethnologique, les us et coutumes des paysans ardennais, comme le grand bain du samedi dans le baquet à lessive du lundi, l’armoire aux vêtements auxquels les hommes n’ont jamais accès ou encore les conversations d’après manger d’une maison à l’autre … L’auteur ne manque pas de nous offrir aussi de vrais bonheurs d’écriture, car l’homme est un styliste amoureux de la langue et prend un évident plaisir à peaufiner des phrases comme celle-ci: « Les deux busards tombés du ciel soubresautaient dans la lumière créée par leur chute »
À partir d’épisodes minuscules d’une guerre qu’on lui a racontée, Armel Job a construit un récit ironique et tragique. Avec une même compassion pour tous ses personnages, il évite le manichéisme dans ses portraits des protagonistes d’un drame qui sourd lentement. On songe parfois à l’Italien Silone et à son magistral Fontamara, autre roman d’une guerre subie par des paysans, peu concernés par elle et broyés par son absurdité. Un autre intérêt de ce roman est qu’il n’impose pas de narrateur omniscient. Les points de vue y alternent et c’est par moments la perception elle-même des événements par la voix d’un « on » collectif qui s’exprime au nom de toute la communauté : « On pense si c’était une drôle de scène, du genre qui s’en produit une ou deux sur une vie. Après, quand on se la remémore, on voit bien que c’était absurde, qu’on était ridicule, comme dans tous les grands moments et on préfère ne pas trop s’étendre. » Cette technique utilisée pour évoquer une aventure commune ajoute à l’histoire une portée unanimiste. Avec jubilation et un art consommé de l’intrigue, Armel Job entraîne son lecteur dans une fiction pleine de rebondissements et de vraies fausses pistes. Le commandant Bill est un livre superbement documenté qui tient en haleine jusqu’à la dernière ligne.
Quentin Louis
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°154 (2008)