José-André Lacour, côté scène, côté jardin

jose-andré lacour

José-André Lacour

 

« Écrire, c’est se trouver face à des embranchements, des bifurcations. Parfois, vous ne savez pas jusqu’où elles vous conduiront ». Né à Gilly en 1919, José-André Lacour a fait ses débuts de romancier et d’auteur dramatique à Bruxelles, avant de s’installer à Paris après la seconde guerre. Le théâtre, le cinéma, la télévision, mais aussi la littérature populaire et le roman lui ont dessiné de multiples visages. Rencontre, à l’occasion de la réédition de Venise en octobre au Cri.

Ses débuts dans l’écriture coïncident avec un passage assez bref à l’U.L.B. : avec Anatole Bisque, qui ne signait pas encore Alain Bosquet, José-André Lacour est en 1939 l’un des animateurs de la revue Pylône, qui prône « l’omnispectisme ». « Regardez dans toutes les directions, c’était assez ambitieux, mais finalement c’est ce que j’ai fait toute ma vie« , dit-il avec un sourire en coin. Une vie où le hasard tient une grande place, au gré des rencontres et des circonstances. Les événements de 1940, l’exode en France, les longues colonnes de réfugiés fuyant les bombardements vont impressionner le soldat fraichement mobilisé. Il en tire Panique en Occident, un premier roman publié à Bruxelles en 1943 (réédité chez Labor/Espace Nord il y a deux ans) qui suscite de suite la controverse. Le jeune romancier n’a lésiné ni sur la multiplication des personnages et des points de vue (dix « chants » composent le roman) ni sur un style habituel pour l’époque, alerte et volontairement haletant, presque cinématographique. Parsemé de poèmes, de mots crus et de situations équivoques, Panique en Occident montre des êtres gagnés par la déchéance physique et la détresse morale. De ce roman, qui pourrait être du Dos Passos transposé au cinéma par Julien Duvivier, se dégage une lourde impression de fatalité sociale. À la même époque, Claude Etienne monte au Rideau de Bruxelles la première pièce de Lacour, Tristan. Mais ces succès, dans une période où le papier est contingenté, où publier et être mis en scène impliquent évidemment l’approbation de l’Occupant, ne vont pas porter chance à Lacour, qui ne voit pas là où il met les pieds. « En plus, parce qu’il m’avait aidé pour me faire éditer, j’avais dédicacé Panique en Occident au romancier Robert Poulet. Pas l’intellectuel de la collaboration, ni au critique du Nouveau Journal, soyons clair. Mais c’était maladroit de ma part, et j’en ai payé les conséquences », explique-t-il aujourd’hui ».

À la Libération, les portes se ferment à Bruxelles. Lacour, avec son épouse Gerry Colin, vivote à Paris, soutenu notamment par Charles Plisnier. Pour subvenir aux besoins de sa famille il écrit alors « à la chaîne » : des romans lestes, des traductions de l’anglais (Hawthorne, Mary Shelley) et pour les collections du Fleuve noir, des récits d’épouvante et d’espionnage. Des pseudonymes nombreux, attestent de cette débauche d’activités alimentaires : Henri Langon, Benoit Becker, Johnny Sopper ou même Connie O’Hara, sulfureuse auteur de Clayton’s College, recensé par Jean-Jacques Pauvert dans son Anthologie des lectures érotiques. « Ah, vous avez retrouvé ça aussi… Boris Vian pour J’irai cracher sur vos tombes et moi pour Clayton’s College, on s’est retrouvé en même temps en correctionnelle. Roman pornographique, tu parles! Mais on n’en menait pas large, surtout avec l’amende qui a suivi« . Cela n’empêche pas José-André Lacour d’écrire « plus littéraire« , comme il aime le dire. Julliard publie en 1949 son Châtiment des victimes, donné favori pour le Femina… jusqu’à ce que la rumeur bruxelloise rattrape l’auteur et le présente comme un agent de la Gestapo. « Les dame du Femina n’ont pas osé prendre le risque, donc je l’ai raté. Ce fut une blessure terrible, venue s’ajouter à ceci : j’avais remis le livre à trois éditeurs, dont Queneau chez Gallimard. Le jour où je dinais avec René Julliard pour signer le contrat, Queneau téléphonait à ma femme pour prendre le roman. C’était trop tard, mais vous voyez à quoi tient une carrière… J’étais condamné au roman de gare.« 

bunuel la mort en ce jardinSon chemin croise à nouveau celui de Queneau en 1956, lorsque ce dernier est chargé par Luis Buñuel d’écrire les dialogues d’un autre roman de Lacour, La mort en ce jardin, que le réalisateur tournait au Mexique avec Signoret, Vanel, Piccoli… »J’étais attiré par le montage cinématographique pour son côté elliptique, qui permettait de suggérer sans montrer, tout en faisant progresser rapidement l’action. J’admirais aussi l’art du théâtre, la réplique qui fait mouche lorsqu’elle vient d’un grand comédien. Mais le théâtre, ça se démode à très grande vitesse… sauf si on s’appelle Molière, et encore. Et les choix du public, ça se fait malgré l’auteur. Il est d’ailleurs très difficile pour un auteur de se relire quarante ans après, alors je ne me relis pas. Quand je vois certains livres de mes contemporains prendre un coup de vieux, je me dis que je ne suis pas épargné non plus« .

En 1958-59, José-André Lacour fait un tabac avec une pièce de boulevard, L’année du bac, montée à Paris, puis au Théâtre national de Bruxelles par Jacques Huisman. Son adaptation de Ouragan sur le Caine est également un succès – Robert Hossein vient de reprendre la pièce cette saison. L’année 1958 voit également la parution, toujours chez Julliard, de Venise en octobre, réédité cet automne au Cri. « C’est l’histoire des amours contrariées d’un jeune saxophoniste surnommé Bobby Saxalto et de Eve, une effeuilleuse de cabaret. J’ai mis dans ce livre le rythme du jazz, une atmosphère en rupture de ton, où, comme dans le jazz, l’amour passe par de la tendresse et du désespoir. Mon côté cinéma, je l’ai exercé sur une scène de bagnole, une sortie de scène plus exactement. J’ai toujours écrit des choses noires, assez pessimistes, dès le départ on sait que Bobby n’aura jamais de lune de miel à Venise. Et à peu près tout ce que j’ai écrit est basé sur des espérance déçues, c’est une des lois de l’existence« , constate José-André Lacour, une pointe d’amertume dans la voix. Mais il se reprend vite : « Heureusement aussi, ces espérances sont remplacées par d’autres que l’on n’attendait pas« . Le succès revenu lui permet en effet de délaisser le roman populaire. « Comme j’avais des livres qui marchaient bien sous le nom de Benoit Becker, l’éditeur du Fleuve noir était assez embêté. Pas de me perdre, mais de perdre Benoit Becker. Alors, j’ai trouvé un accord avec un autre boulimique de la plume, comme moi, pour qu’il fasse du Becker. Celui m’a remplacé a écrit une suite aux aventures de Frankenstein. Il s’appelle… Jean-Claude Carrière, qui allait devenir le scénariste de Buñuel. Au Fleuve noir, des tas d’écrivains publiaient comme nous sous pseudonymes : Frédéric Dard, Jacques Laurent, Michel Audiard… Vous voyez, écrire, c’est se trouver face à des embranchements, des bifurcations. Parfois, vous ne savez pas jusqu’où elles vous conduiront. Parfois aussi, la route s’interrompt brutalement. En 1963, j’ai écrit avec Henr-Georges Clouzot le scénario et les dialogues de L’enfer. On a commencé le tournage  l’année suivante, avec Romy Schneider et Serge Reggiani. Ça a duré deux jours, Clouzot a fait un infarctus, et tout s’est arrêté… En 1993, Claude Chabrol a repris le projet, mais ce n’était plus pareil« .

Dans les années 70 et 80, Lacour travaille également comme dialoguiste pour la télévision, sur son roman Le rire de Caïn, pour la série Châteauvallon, et adapte Mariages de Plisnier pour Teff Erhat. Et le roman? « Je ne sais pas trop, mais j’aimerais assez qu’on réédite La mort en ce jardin ». Et puis, son petit-fils, José-Louis Bocquet, a déjà publié trois romans à la Série noire : il est à bonne école.

Alain Delaunois

José-André LACOUR, Venise en octobre, Le Cri, coll. « Les évadés de l’oubli », 1996.
José-André LACOUR, Panique en Occident, Labor, coll. « Espace Nord », 1994.
Les éditions Fleuve noir viennent de rééditer en un volume quatre romans de Benoit Becker : Expédition épouvante, Le chien des ténèbres, Laisse toute espérance et Château du trépas.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°95 (1996)