Des goûts et des couleurs
Julos BEAUCARNE, Le virelangue, Actes Sud, 1992
Peut-on rester insensible au personnage de Julos Beaucarne dont la présence sur scène s’impose, que l’on soit sous le charme d’un courant de sympathie chaleureuse ou agacé par un côté écolo bon enfant qui ferait recette ? Il n’est pas simple de relire ses textes en faisant abstraction du beau timbre de sa voix et de son pull arc-en-ciel. Et pourtant, à découvrir ou redécouvrir ses comptines, chansons, proses poétiques et poèmes, il apparaît à l’évidence que le poète prime sur son image, quelque envahissante qu’elle soit. En quête des mots, de leurs volumes, leurs couleurs, de leur sensualité première en quelque sorte, Beaucarne leur rend une vitalité perdue, qu’ils soient bousculés dans une joyeuse effervescence ou bras dessus bras dessous dans une ordonnance plus sage. Ainsi dans les virelangues, ces exercices de prononciation où des chaussettes d’archiduchesse et des petits pots de beurre sont autant de chausse-trapes, Julos, lui, a ses cathédrales à recathédraliser, ses cent blondes explosives et un chanteur saisonnier de Soissons. Jeu assurément, mais pas complètement gratuit. La jubilation naît de la cocasserie des rencontres, mais aussi du goût des mots dans la bouche qui, avec leurs contours, retrouvent des saveurs oubliées. Une façon de rappeler que le mot n’est jamais innocent, à moins qu’il ne le soit jusqu’à l’absurde.
Tout n’est pas jeu pour autant. Les vélos volants, hélioplanes et navires photovoltaïques qui parcourent certains textes balisent une utopie apaisante qui renoue avec un imaginaire éternel. Celui de l’harmonie des hommes et de la planète, paradis pas tout à fait perdu dans l’intimité des êtres, mais toujours à deux doigts de l’enfer. Rêve et conscience, jeu et mémoire, humour noir et sensualité, la poésie de Beaucarne n’est jamais, au sens premier du terme, monotone.
Dominique CRAHAY
Le Carnet et les Instants n° 76, 15 janvier – 15 mars 1993