Werner Lambersy, A l’ombre du bonsaï

Entre deux rives

Werner LAMBERSY, A l’ombre du bonsaï, Mouscron, L’Âne qui butine, 2012.

9782919712007Pour des raisons d’antifascisme liées à une histoire familiale particulière (il est le fils d’une mère juive et d’un père d’extrême droite), Werner Lambersy, poète belge d’origine flamande, a choisi d’écrire exclusivement en français. Il s’est également expatrié, vivant depuis de longues années à Paris. Il a écrit une quarantaine de livres de poésie et une soixantaine de livres d’artistes. Comme il aime le rappeler : « On ne peut pas donner rendez-vous au vent, mais on peut toujours laisser la fenêtre ouverte ». Cela fait donc plus de soixante ans qu’il laisse la fenêtre ouverte et qu’il écrit des poèmes.

A l’ombre du bonsaï paraît à L’Âne qui butine, maison d’édition atypique, aimant publier des objets un peu sauvages, située à Mouscron. L’éditrice, Anne Létoré, s’est chargée de la composition graphique de l’ouvrage. Les aphorismes sont à l’honneur, genre dans lequel Lambersy excelle. La première partie est une succession de petites méditations, illustrant l’équilibre savamment dosé entre sa vie occidentale et les influences orientales dont il s’est imprégné lors de ses multiples voyages. Ces formes brèves sont à lire seul, tranquillement, quelque part où il est possible de se laisser emmener par « le regard du poète » qui a cette particularité de « syncoper le temps ». Ces petits textes évoquent, entre autres, les différentes saisons « Les jours / Raccourcissent voici les bocaux à confiture », l’enfance, le quotidien et sa trivialité « Vieillir / afin que tout n’arrive pas une fois en même temps », aussi la poésie qu’il contient « Dans tout / Ce qu’on dit il y a un arbre une pierre un oiseau ». Avec sagesse et un humour certain, il propose au lecteur l’alternance entre réflexion et détente de l’esprit : «  Téléphone ! / Et tout le puzzle du silence est à recommencer ».

La partie centrale du recueil est en soi une surprise. Il s’agit de textes en prose, genre peu pratiqué par Werner Lambersy. Comme l’a dit un jour Henri Bauchau, il y a des choses en prose que l’on ne dira jamais en poésie et des choses en poésie que l’on ne dira jamais en prose. Elles ont chacune leur spécificité. « La dernière levée », titre de cette deuxième partie, est un jeu de mots évident entre le dernier moment avant qu’une lettre ne soit emmenée par la poste et la levée du corps, l’enterrement.

Dans un style litanique, il discoure sur les mystères de la matière, le visible et l’invisible, le pouvoir des mots, l’amour (« si le bonheur existe, c’est de courir, aussi longtemps que possible, pieds nus sur les braises rougeoyantes d’un amour »), l’humanité qui « se mithridatise par un lent suicide aux carbones, aux pesticides, aux psychotropes et même à l’arme blanche des images », et la poésie toujours, sa raison de vivre, sur « le manque qu’elle engendre, et l’arme qu’elle aiguise dans la voix blanche des pages ». La guerre et ses atrocités occupent une place prépondérante. Dans ce qu’il nomme « piqûre de la guêpe guerrière », il dénonce l’horreur tout en reconnaissant son impuissance. Le corps chez Werner Lambersy est perçu comme une prison où « le sang tourne en rond ». Il demeure néanmoins, pour qui sait y voir, que « les moineaux de l’amour se posent parfois sur les barreaux », laissant place à l’écriture et à l’imagination, car « il faut plonger nu dans le lagon de l’étoffe à peine formé d’un poème ignoré ».

La dernière partie, « Notes en plein vent » revient à la forme de départ du recueil avec une série de haïkus écrits suite à un séjour en Corée en 2006. Déjà publiés en coréen, ses livres s’y écoulent par milliers. Sous forme d’instantanés, nous voilà emmenés en voyage à travers les yeux et les sensations de l’auteur pour y découvrir : l’art des jardins, l’ambiance d’une chambre d’hôtel au sommet d’un gratte-ciel, l’intérieur des temples, de pavillons ou de palais, l’ambiance d’une fête de la naissance de Bouddha ou de simples scènes ordinaires de séouliens.

Par ses voyages, ses parenthèses temporelles, sur « un vieux banc / Où méditer un peu / devant le nuage tranquille au-dessus de la ville », Werner Lambersy puise son inspiration et médite sur le sens de la vie, de la place de l’homme et de la poésie. Ce brin de légèreté et de sagesse mélangés caractérise sa poésie, unique dans le paysage de la poésie francophone actuel : « Il y a / quelque chose/ de léger qui rit dans l’œil de la vieille tortue ».

Mélanie Godin

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Article paru dans Le Carnet et les Instants n°175 (2013)